Le réseau AVA (AGIR ET VIVRE L’AUTISME) compte 9 établissements en France. Tous proposent une prise en charge individualisée et intensive, avec le bénéfice d’un encadrement de 1 adulte pour 1 enfant. Dans cet article, découvrez un interview d’Ana Bibay, directrice clinique nationale de l’AVA.

Née à Rio de Janeiro au Brésil, Ana Bibay vit depuis 20 ans en France. Au sein d’AVA, les premières missions d’Ana ont été la coordination d’un projet de réorganisation dans le but de proposer de nouvelles améliorations de la qualité de l’accompagnement et l’ouverture de la première Unité Adolescent du réseau, située dans les Yvelines (établissements de Chambourcy). Elle est aujourd’hui analyste du comportement certifiée (BCBA). Après 4 ans en tant que directrice de l’IME MAIA, elle a accepté, en août 2015 d’assumer la direction clinique nationale d’Agir et Vivre l’Autisme (AVA).

Quel est l’état de lieux de l’autisme en France ? 

Depuis 2008, la situation des prises en charge et les mentalités évoluent : les recommandations officielles en faveur des approches comportementales et éducatives et la création de structures de prises en charge avec ces approches sont deux éléments essentiels de cette évolution.

Mais c’est une évolution lente et malheureusement, très peu d’enfants avec autisme peuvent en bénéficier en France. De plus, cette évolution est encore confrontée à quelques barrières, telles que le refus de suivre des recommandations nationales qui soutiennent des approches comportementalistes prouvées et efficaces, la réticence de l’école à maintenir un enfant en classe ordinaire ou encore des professionnels qui expliquent aux familles que l’autisme de leur enfant est lié à un état psychologique de la mère. Il est démontré qu’avec un diagnostic précoce et une prise en charge comportementale, la trajectoire des enfants avec autisme peut être considérablement améliorée. Les professionnels qui refusent d’évoluer portent donc une lourde responsabilité.

En ce qui concerne les prises en charge, des initiatives importantes ont été menées par l’Etat, par exemple : l’ouverture d’une trentaine d’établissements expérimentaux (essentiellement enfants et quelques projets adolescents) et celles d’unités d’enseignements maternelles pour les très jeunes enfants. Ces changements ont été largement impulsés par des parents qui aujourd’hui, s’inquiètent de la poursuite des prises en charge et du manque de structures pouvant accueillir des adultes avec autisme.

L’autisme est un trouble sévère. Plusieurs familles font face à des pathologies associées. L’âge adulte pose donc des enjeux évidents et l’Etat n’a pas encore de réponses adaptées. En tant que professionnelle, je partage cette inquiétude : comment continuer un travail avec ceux qui ont eu la chance d’intégrer un programme adapté ? Comment proposer des solutions adaptées aux adultes avec autisme, avec un vrai projet d’intégration en milieu ordinaire ? Comment créer des projets qui tiennent compte de l’hétérogénéité des profils à l’âge adulte ?

Certains pays comme les Etats-Unis offrent des projets d’intégration tout en permettant à des personnes qui en ont besoin, d’être accompagnées. En France, cet accompagnement existe pour certains enfants (à l’école par exemple) mais des vraies réponses restent à trouver pour la suite, à l’âge adulte.

Pouvez-vous nous parler de l’Analyse Appliquée du Comportement (ABA)?

L’Analyse du Comportement est une science qui étudie le comportement des organismes ; elle date  du 20e siècle. Les lettres ABA viennent de l’anglais « Applied Behavior Analysis ». L’Analyse Appliquée du Comportement (ABA) est l’application de principes et lois scientifiques permettant de créer ou de modifier des comportements qui revêtent une importance sociale pour la personne et la société.  En d’autres termes, nous cherchons à développer les comportements positifs, en construisant le répertoire des comportements sociaux nécessaires à l’adaptation et à réduire les comportements problématiques.

L’environnement a une place centrale dans les comportements et c’est en agissant directement sur celui-ci que nous pouvons développer des comportements facilitant l’adaptation de l’enfant à son environnement naturel. Il ne s’agit pas d’une méthode mais plutôt d’un cadre théorique et pratique qui oriente les professionnels.

Enfin, un travail systématique sur la consolidation des acquis par une diversification des milieux d’apprentissage est fondamental pour la réussite des programmes. Le cadre de l’ABA est – et se doit d’être – applicable en tous lieux (domicile, école, centre de loisirs, lieu de travail, école spécialisée, lieu d’activités d’extra-scolaire…) et à tout moment de la journée en complément des prises en charge en institution.

La prise en compte de l’individualité et de l’intensité de l’accompagnement sont deux concepts indispensables du suivi des personnes avec autisme. A cela s’ajoute pour les professionnels, l’exigence d’une connaissance régulièrement approfondie ainsi que l’utilisation d’outils adaptés qu’il faut aussi maîtriser et réajuster à chaque enfant, à chaque situation.

Comment se déroule une séance ABA ?

La « séance ABA » est la mise en place du Projet Éducatif Personnalisé (PEP) de l’enfant. Trois phases se succèdent dans l’élaboration du PEP : les observations et évaluations, la définition des cibles de travail et des protocoles d’enseignement, le consentement éclairé des familles. Des phases de suivi, d’évaluation et de mise à jour complètent ce processus.

L’organisme de recherche américain « National Research Council » indique que l’élaboration d’un Projet Éducatif Personnalisé (PEP) doit se baser sur les thèmes suivants :

  • Communication fonctionnelle
  • Compétences Sociales
  • Jeux et loisirs
  • Compétences cognitives et académiques
  • Comportements problématiques
  • Maintien et généralisation

En outre, les domaines dont les compétences des enfants avec autisme sont particulièrement déficitaires reçoivent une attention particulière, à savoir :

  • Langage/ Communication
  • Compétences sociales
  • Compétences qui remplacent les comportements problématiques
  • Comportements adaptatifs

Dans la création et la mise en place de chaque PEP, nos équipes proposent des réponses pour que chacun de ces éléments soit constamment respecté. Il faut aussi mentionner que dans les établissements AVA, la communication est un axe de travail prioritaire , dans le but de « réinsérer » l’enfant en milieu ordinaire. Comme je le disais, la prise en compte de l’individualité et de l’intensité de l’accompagnement sont deux concepts indispensables du suivi des personnes avec autisme.

Nous menons donc dans nos établissements une stimulation intensive, avec comme particularité la qualité de l’encadrement : un adulte pour un enfant. Par ailleurs, nous sommes très attentifs à ce que le PEP corresponde aux besoins de l’enfant. Les séances ABA sont de fait très différentes les unes des autres en fonction de ce projet. Par exemple, dans un cas, nous allons travailler au supermarché sur l’acquisition de compétences pour qu’un jeune puisse faire ses courses seul. Dans un autre cas, nous allons travailler dans l’IME pour développer les comportements vocaux et les premières demandes d’un enfant en diminuant ainsi des comportements à problèmes (comme des cris et des pleurs qu’il pouvait utiliser avant pour communiquer avec son entourage). Enfin, nous pouvons aussi travailler à l’école, notamment dans la cour de récréation pour que l’enfant avec autisme puisse participer à des jeux avec ses pairs.

L’Analyse Appliquée du Comportement (ABA) s’adresse-t-elle à tous les enfants autistes ? 

L’analyse du comportement est une science dont les principes orientent les professionnels. Je préfère ne pas parler de méthode. L’application de ces principes est bénéfique à tous les enfants avec autisme : elle est bénéfique bien au-delà de l’autisme. Les symptômes de l’autisme varient considérablement. Ils peuvent inclure une utilisation répétitive d’objets, une grande difficulté à communiquer clairement, une résistance au changement des activités routinières et des problèmes d’interaction sociale. Comme les symptômes varient beaucoup, on utilise souvent le terme « troubles du spectre autistique » pour parler de l’autisme. Il est de la responsabilité du professionnel en ABA d’adapter des principes théoriques aux besoins de la personne avec autisme et au projet de la famille de celle-ci.

Si un jeune de 14 ans avec autisme n’a pas appris à faire ses lacets et que nous sommes en train de lui enseigner à reconnaître la différence entre un cercle et un triangle, il ne s’agit pas de questionner l’ABA mais de revoir le choix d’objectifs pour enseigner des comportements qui revêtent une importance sociale pour la personne. Ou, en d’autres termes, pour enseigner des comportements qui permettront à cette personne de mieux s’intégrer à la société, de mieux communiquer ses envies, d’être plus autonome dans sa vie quotidienne etc.

Enfin, l’ABA ne guérit pas de l’autisme et ne doit pas éloigner les analystes du comportement des autres professionnels lors de l’élaboration d’un projet.

Comment trouver un professionnel ?

Le site du BACB réunit la liste de tous les professionnels certifiés en France et en Europe. Aujourd’hui, il est difficile de trouver des professionnels certifiés : la liste n’est pas longue et la demande très importante. De plus, les formations diplômantes en ABA sont peu nombreuses et une réforme de l’enseignement universitaire en France semble aussi fondamentale. Une majorité d’universités continue de dispenser des enseignements obsolètes sur l’autisme.

Les parents peuvent-ils se former à l’ABA?

Des organismes de formation proposent des formations ABA qui, avec un accompagnement, peuvent permettre la mise en place d’un programme à domicile. Mais un programme à domicile reste coûteux et donc accessible seulement à certaines familles. Je pense que les familles peuvent et doivent se former pour mieux accompagner leur enfant. Mais cela ne signifie pas que c’est la responsabilité des parents de se substituer à l’Etat dans la prise en charge de leur enfant.

Un parent peut se former pour devenir enseignant. Mais ce n’est pas pour autant que nous encourageons les parents d’enfants neuro-typiques à se former au détriment de l’enseignement scolaire. Pourquoi les parents d’enfants avec autisme devraient assumer une telle responsabilité ?

Quels conseils donneriez-vous aux parents concernés par l’autisme ?  

Je suis très admirative du courage et de la force de plusieurs familles que j’ai eu la chance de rencontrer. Parfois face à un discours pessimiste et sans réelle perspective pour l’avenir, j’ai vu des parents se dépasser et emprunter des routes qui leur ouvrent d’énormes possibilités pour l’avenir de leur enfant… A tout moment, un enfant avec autisme apprend et fait des progrès. C’est son droit de bénéficier des professionnels et des services qui lui permettent d’y arriver. Comme tout le monde, l’enfant avec autisme a besoin d’être entouré de personnes qui l’aident mais aussi qui croient en lui.

Donc, je ne me sens pas en capacité de donner de conseil, mais je pense que chaque parent aide son enfant lorsqu’il défend leur projet familial et lorsqu’il construit avec des professionnels un projet qui correspond aux besoins de leur enfant.

Enfin, l’adolescence et l’âge adulte arrivent bien vite. Il arrive que certaines familles mènent un lutte si importante pour l’intégration en milieu scolaire que les enjeux d’autonomie, de communication et de socialisation ne sont pas suffisamment travaillés durant l’enfance. Je pense que c’est un point d’alerte important de toujours garder en perspective ce qui sera nécessaire et utile à l’enfant lorsqu’il grandira.

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