La proportion exacte de personnes en freelance neuroatypiques (neuroA) n’est pas officiellement recensée, mais les témoignages et les études sectorielles montrent une surreprésentation des profils neuroA dans le freelancing. Quand le monde du travail impose ses codes, beaucoup cherchent à créer un espace qui leur ressemble. Créer une activité indépendante apparaît souvent comme le seul moyen de respecter ses besoins sensoriels et cognitifs.

Devenir freelance quand on est neuroA

Alors un simple choix ou une nécessité ? C’est avant tout une réponse concrète à des besoins spécifiques, qui souligne la recherche d’un environnement professionnel mieux adapté à leur fonctionnement. Pour beaucoup de personnes neuroa TDA-H, TSA, HPI, DYS, hypersensible ou en plein questionnement sur leur fonctionnement intellectuel ou émotionnel, travailler en freelance relève souvent de la stratégie de survie. Dans le salariat classique, les normes implicites se révèlent pesantes : horaires fixes, open spaces bruyants, réunions sans fin et parfois sans fondement, hiérarchie peu flexible, attentes de « comportements types ».

Personne avec un ordinateur en freelance

Or, par définition, la neuroatypie sort du cadre. Certains profils ont besoin de calme pour se concentrer, d’autres d’un environnement changeant pour rester stimulés. Dans un bureau normé, ces besoins sont rarement compris. Encore moins respectés. Quitter le salariat pour se lancer en indépendant ne répond pas toujours à une vocation. Parfois, c’est une étape indispensable pour continuer à avancer sans se briser.

« Tout a commencé par un burn-out », confie Barbara, rédactrice web diagnostiquée HPI, TDA-H et dyscalculique. Après vingt ans en entreprise, elle se sentait en profond décalage avec les valeurs de la direction.

Un espace d’épanouissement

Travailler à son compte apparaît comme la solution. Le freelancing offre un mode de travail apaisé, une reconquête de l’autonomie. C’est la possibilité de choisir son rythme, son environnement, ses clients, ses outils. Pouvoir organiser ses journées selon ses pics d’énergie, éviter la surcharge sensorielle, travailler en décalé si le cerveau s’active la nuit. « En bonne TDA-H, j’ai des moments de down où je ne peux rien faire », ajoute Barbara. « En entreprise, ce n’est pas possible de dire : j’ai besoin de me poser une heure, je continuerai plus tard. En freelance, en tant que neuroa j’ai enfin pu gérer mon temps, travailler la nuit si j’en ai besoin, parler seule à voix haute sans gêner personne… et surtout, être bizarre sans devoir m’en excuser. »

Femme handi en freelance

Le besoin de sens

Sur le plan psychologique, cette indépendance répond aussi à un besoin essentiel, celui du sens. Beaucoup de neuroA entretiennent un rapport intense à la cohérence et à la justice, et supportent mal l’absurde ou le « faire pour faire » imposé par un employeur. Le freelancing permet alors de choisir des missions en accord avec ses valeurs ou de créer une activité à son image.

Des qualités utiles en entrepreneuriat

Enfin, la neuroatypie apporte souvent des qualités précieuses dans le travail :

  • une pensée divergente, capable de relier des idées éloignées ;
  • une créativité vive et non linéaire ;
  • une capacité de concentration impressionnante quand la passion s’en mêle ;
  • une grande sensibilité aux détails, à la justesse, à la sincérité.

Les super pouvoirs d’un·e freelance neuroa

C’est pourquoi parler de super pouvoirs n’a rien d’un effet de cape ! Pour beaucoup de personnes neuroatypiques, certaines caractéristiques cognitives deviennent de véritables alliées quand elles peuvent s’exprimer dans un cadre souple et choisi. La différence se transforme alors en puissance créative.

Femme travaillant depuis un camping car

Zoom sur l’hyperfocus

Ce phénomène souvent associé au TDA-H désigne la capacité à se plonger dans une tâche avec une intensité telle que le reste du monde disparaît. Cette concentration extrême ne se déclenche pas sur commande. Aussi peut-elle être mal comprise en entreprise. À l’inverse, elle devient un atout précieux en freelance. Quand la mission passionne, le travail avance vite, avec une grande précision. Barbara apprécie cette aptitude : « Je peux travailler très vite, notamment dans l’urgence. J’ai une excellente mémoire et je peux assimiler de nouvelles compétences très rapidement. Je peux aussi faire plusieurs choses à la fois, c’est un mode de fonctionnement dans ma vie professionnelle, mais aussi personnelle. »
À côté de cette capacité de concentration hors norme, une autre facette se révèle tout aussi précieuse : l’hypersensibilité.

Homme en digital nomad

L’hypersensibilité, un vilain défaut ?

Avez-vous déjà entendu cette phrase : « Tu es trop sensible, il faut t’endurcir. »
Ce conseil lancé comme une injonction est-il vraiment pertinent ? Peut-être pour entrer dans un moule… et ne pas déborder à la cuisson.
Et pourtant, dans le milieu professionnel, l’hypersensibilité reste une richesse. Prêter attention à chaque détail, percevoir les nuances et les émotions, rend la communication plus fine et plus humaine. C’est une qualité précieuse dans les métiers de la création, de la relation ou de l’analyse. Anabelle, community manager et hypersensible, en est persuadée : « C’est un atout, car l’émotivité me permet d’être ultra performante dans les cas d’urgence et d’avoir une fulgurance mentale assez incroyable. »

Femme en télétravail

Bien sûr, il existe un revers. Cette sensibilité peut exposer à une grande fatigue émotionnelle. Mais en autonomie, on apprend à comprendre sa fenêtre de tolérance, à poser ses propres limites, à organiser des temps de récupération, et même à choisir ses interlocuteurs selon la compatibilité. Et c’est justement cette connaissance nuancée de soi qui affine aussi l’intuition.

L’intuition et la capacité d’adaptation

Chez beaucoup de personnes en freelance neuroA, le cerveau capte rapidement les signaux faibles : un ton, une ambiance, une incohérence. Il fonctionne comme un radar social et sensoriel très développé, capable d’ajuster sa réponse. Cette sensibilité fine aux contextes aide à anticiper les besoins d’un client, à trouver des solutions créatives face à l’imprévu ou à modifier une méthode de travail sans perdre en efficacité. C’est une intelligence réactive, à la fois instinctive et stratégique, née de l’habitude de composer avec un monde rarement taillé pour eux.

Le burnout des cerveaux atypiques : les pièges quand on travaille seul

Mais le freelancing peut devenir un terrain glissant. La liberté, les espaces de respiration, s’ils ne sont pas structurés, deviennent vite source de surcharge, d’isolement ou d’exigence excessive.

Personne handi / neuroa en freelance

La désorganisation

Sans cadre externe, la tentation est grande de s’éparpiller. « J’ai du mal à m’organiser », constate Barbara. « Je suis facilement déconcentrée et dispersée. Il me manque parfois un vrai cadre qu’on retrouve dans le salariat. » La désorganisation n’est pas un manque de rigueur, mais le reflet d’un fonctionnement cognitif particulier, marqué par des difficultés à planifier, à hiérarchiser et à structurer les tâches au quotidien. Les profils TDA-H sont particulièrement concernés. Le cerveau peine à filtrer les informations, à établir des priorités et à maintenir le cap sur une seule activité. Résultat : tout semble urgent, ou au contraire, rien ne l’est vraiment.

La surcharge sensorielle et mentale

Et quand l’attention s’éparpille, la surcharge n’est jamais loin. Travailler chez soi peut sembler apaisant, mais cela suppose de tout gérer en autonomie : prospection, gestion administrative, comptabilité, communication. Autant de tâches qui sollicitent une attention déjà mise à rude épreuve. « Mon cerveau ne se met jamais en pause, j’ai donc tout le temps des idées et je vais avoir tendance à ruminer », poursuit Barbara. À la longue, cette charge émotionnelle peut entraîner une sensation de fatigue persistante et rendre plus difficile la prise de recul nécessaire au bien-être.

Personne en télétravail

Le sentiment d’isolement

Enfin, cette indépendance porte aussi une face plus sombre. « J’apprécie ma solitude choisie en tant que freelance neuroa, travailler quand je veux, sans pointage, sans devoir rendre des comptes. Mais cette expérience a fait naître un sentiment paradoxal d’isolement et un manque de reconnaissance », analyse Anabelle. Le risque est en effet de se replier sur soi ou de perdre confiance en ses compétences. L’absence de réseau professionnel solide, le manque de feedback et de reconnaissance, ou le décalage avec l’entourage qui ne comprend pas toujours les difficultés d’une activité à son compte, renforcent ce sentiment de solitude.

Homme neuora en freelance

Les outils quotidiens des freelances neuroA

Pour structurer leur quotidien, limiter la surcharge mentale et gagner en efficacité, de nombreux freelances neuroatypiques s’appuient sur des outils adaptés à leur quotidien.

  • Les applications d’organisation et de gestion du temps : des outils comme TimeCamp (suivi du temps de travail), Tiimo (agenda visuel et routines personnalisables, très appréciées des personnes TDA-H ou TSA), ou encore Remember the Milk (gestion de listes de tâches avec rappels) permettent de mieux visualiser et prioriser les tâches.
  • Les outils physiques et les routines visuelles : l’utilisation d’un Time Timer (minuteur visuel) ou de planners papier adaptés aide à rendre le temps plus concret et à structurer la journée. Pour canaliser l’attention et réduire le stress, certains utilisent aussi des objets sensoriels, comme les fidgets et les balles anti-stress.
  • Les communautés et les réseaux de soutien : l’appartenance à une communauté ou à un réseau de pairs permet de rompre l’isolement et de renforcer le sentiment de légitimité, deux leviers importants pour la santé mentale. Il existe des groupes d’entraide en ligne et des forums spécialisés comme Les Singulières ou TDAH Squad.
  • L’accompagnement : la plateforme de recrutement Autypik propose par exemple de mettre en relation des profils neuroA avec des entreprises formées à l’inclusion. Elle soumet des offres d’emploi dans tous les secteurs et bientôt des missions en freelance.
  • La nature : c’est prouvé ! Une activité en pleine nature favorise l’attention et la concentration, réduit l’anxiété, le stress et la colère. Anabelle l’a bien compris : « Ma méthode : la marche et la musique. Dès que ça monte, je sors marcher avec mon casque et je m’isole dans la nature, dans la forêt, au bord d’une rivière, partout où je peux observer les animaux et principalement les grenouilles, mon obsession ! »
Personne en freelance au bord d'un lac

Et si le salariat s’inspirait du freelancing ?

Si tant de neuroA se tournent vers le freelancing, c’est peut-être parce que ce modèle répond à des besoins universels : l’autonomie, le sens et la flexibilité. Autant d’éléments que le salariat pourrait lui aussi intégrer. D’ailleurs, plutôt que d’opposer indépendance et CDI, il serait intéressant d’imaginer un modèle hybride, inspiré des deux. Un modèle où chacun pourrait organiser son temps, sans que la performance soit mesurée à l’aune de la présence ou du volume horaire.

Concrètement, rendre le salariat plus inclusif pour les neuroA, c’est prendre quelques mesures d’aménagement des espaces et privilégier l’information.

  • Repenser l’environnement sensoriel : limiter le bruit, adapter la lumière et prévoir des espaces calmes.
  • Valoriser les rythmes cognitifs : autoriser des horaires individualisés ou du télétravail partiel.
  • Favoriser la communication claire et bienveillante : éviter les consignes implicites, les non-dits, les réunions floues.
  • Encourager la créativité et l’autonomie pour permettre à chacun d’expérimenter puis d’ajuster.
  • Former les managers à la diversité neurologique pour apprendre à reconnaître et accueillir des profils différents, sans les réduire au diagnostic.
Personne en télétravail / freelance

Loin de l’image du digital nomade libre et épanoui, le freelancing constitue souvent un chemin d’évitement pour les neuroA. Une façon de continuer à travailler malgré la phobie sociale, les surcharges sensorielles ou la fatigue émotionnelle. Un espace fragile à ajuster sans cesse. En repensant nos façons de travailler, on pourrait offrir un cadre plus souple, plus humain et plus respectueux des différences. Somme toute, un environnement bénéfique à tous, neuroA ou pas.

Article rédigé par Laurence Rossignol Ernault pour le Blog Hop’Toys

Sources :

https://www.researchgate.net/publication/335948789_Hyperfocus_the_forgotten_frontier_of_attention

https://www.researchgate.net/publication/327943818_Living_in_the_zone_hyperfocus_in_adult_ADHD

Responsable éditorial chez Hop'Toys - Œuvrer pour l'inclusion parce que la société, c'est toi, c'est moi, c'est nous !

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