Hop’Toys a rencontré le Docteur Gepner au Congrès Autisme à Montélimar organisé par l’association Agir pour l’autisme. Nous l’avons sollicité pour qu’il nous présente ses travaux sur l’approche temporelle des enfants et adultes avec autismes.

Que signifie votre spécialisation « Autisme Vie-Entière » ?

Comme vous le savez, les enfants présentant des troubles autistiques gardent des stigmates plus ou moins handicapants de leur trouble tout au long de leur vie. Je reçois aussi bien des nourrissons de moins de deux ans que des adultes de 18 à 50 ans et plus. Je suis des adultes de 25-30 ans que j’ai connus à l’âge de 3 ou 4 ans.

Pour appréhender l’autisme dans son évolutivité, et parce que certains adultes autistes ou certaines familles le demandent à plusieurs reprises au cours de leur existence ou de celle de leur enfant, il me semble crucial d’accompagner les personnes autistes et d’observer leur parcours, de manière prolongée, durant parfois l’entièreté de leur vie. Cela oblige à un renouvellement constant des connaissances, en tenant compte des avancées et erreurs du passé ; en retour cela permet de mieux comprendre et conseiller les générations actuelles d’enfants, adultes et familles concernés par ces troubles, mais aussi les professionnels. La séparation de la psychiatrie en deux branches, psychiatrie infanto-juvénile et psychiatrie générale me semble souvent porter préjudice à la compréhension des autismes essentiellement dans leurs  formes  légères, de type syndrome d’Asperger, c’est-à-dire sans déficience majeure du langage ou de la cognition, et avec parfois des hauts potentiels. De nombreuses erreurs de diagnostic et d’orientation sont commises. L’autisme oblige à la pluri- et à l’interdisciplinarité, au dialogue clinique et scientifique tous azimuts. Vie-Entière, c’est aussi la spécificité de notre association la FAVIE.

Lors de la conférence Autisme à Montélimar en mars 2015, vous avez présenté vos travaux sur le bénéfice du ralentissement des informations audio-visuelles sur les personnes autistes, pourriez-vous nous en dire plus ?

Le monde environnant est souvent trop rapide pour certains enfants avec autismes et souvent encore à l’âge adulte. Autrement dit le flux d’informations véhiculées par les différents sens (les 5 sens classiques, mais aussi le 6ème sens, celui du mouvement) surcharge leurs capacités de traitement informationnel en temps réel, ici et maintenant. Les systèmes perceptivo-moteurs et perceptivo-cognitifs, les boucles de perception et d’action, sont débordés par ce flux trop rapide d’informations, trop complexe pour eux ; en réaction, ils sont parfois obligés de se déconnecter, pour se protéger contre cette surcharge sensorielle[1]. Cette protection peut se manifester par un évitement sensoriel, une aversion pour certains stimuli sensoriels, des débordements émotionnels et pulsionnels, et in fine, par des troubles communicationnels,  relationnels, interactionnels, et comportementaux

Cette approche temporelle des troubles autistiques se voit confirmée par nos travaux menés depuis plus de 10 ans sur cette question, qui attestent de l’intérêt de ralentir le monde pour les enfants avec autismes.

Quels sont les résultats d’un tel « ralentissement tant au niveau des images que du son » ?

En ralentissant toutes sortes d’informations audio-visuelles sur un ordinateur, soit en situation expérimentale unique, soit en contexte écologique et longitudinal (exposition répétée à des séquences audio-visuelles au ralenti), et en comparaison avec une présentation de ces mêmes informations en vitesse temps-réel, nous avons montré que les enfants autistes sont généralement plus attentifs à la cible (visage d’autrui, scène sociale, consigne verbale,…), reconnaissent mieux des expressions faciales émotionnelles ou non émotionnelles, imitent mieux des gestes corporels et des mimiques faciales, comprennent mieux les phonèmes et la parole ; et enfin, voient leurs troubles comportementaux s’atténuer, au cours des séances de ralenti et au cours du temps.

En tant que parent ou professionnel, comment ralentir « ce monde qui va trop vite » au quotidien ?

En ralentissant tous les gestes, le débit de la parole, les mouvements du visage, ou encore le bercement d’un très jeune enfant ou même d’un enfant plus âgé. Et en observant attentivement les effets produits.

Si un effet positif sur le comportement doit se manifester, il se manifestera en général rapidement, voire tout de suite.  Dans ce cas, il faut selon moi s’engouffrer dans cette ouverture, élargir les plages temporelles d’exposition au ralentissement audio-visuel. Si ce n’est apparemment pas le cas, il faut quand même persévérer, peut-être en essayant de ralentir davantage. Certains enfants ont besoin d’un ralentissement à 50% de la vitesse temps-réel, soit deux fois plus lentement, et certains ont besoin d’un degré de ralentissement encore plus important.

Certains parents, et de nombreux professionnels, ralentissent intuitivement leur tempo pour s’ajuster à celui de leur enfant ou patient. Mais pour d’autres parents ou professionnels, il peut être difficile de ralentir autant leur vitesse interne, en tous cas durablement.

Il ne peut en tous cas pas leur nuire de ralentir leur tempo, dans ce monde perpétuellement trop rapide. Pas plus qu’aux personnes autistes elles-mêmes. J’évoque dans un livre[2] les bénéfices physiologiques, métaboliques et psychologiques, qu’une personne autiste peut retirer du ralentissement de son rythme interne et en premier lieu de sa respiration, quand il se sent trop décalé avec, et donc stressé par, le monde qui l’entoure.

Mais l’informatique et l’écran peuvent s’avérer utiles pour aider au ralentissement du monde extérieur.

Je recommande chaudement aux parents d’enfants autistes, aux adultes autistes,  et aux professionnels, de télécharger gratuitement Logiral™ sur leur PC ou sur leur tablette Ipad® ou Androïd® [3], et de le tester. Ce nouveau dispositif numérique, que nous avons développé avec Carole Tardif,  et qui permet de ralentir quasiment tous les supports audio-visuels à la vitesse désirée avec une bonne synchronie et sans distorsion de la tonalité de la voix, peut apporter des bénéfices quantitatifs et qualitatifs plus ou moins importants aux enfants autistes. Plusieurs études en cours de publication attestent ces bénéfices.

Un nombre croissant de professionnels l’utilisent en France, avec des retours parfois extrêmement encourageants.

Ce nouveau concept et outil de ralentissement ouvre des perspectives thérapeutiques qui nous semblent de plus en plus prometteuses. L’avenir dira si le ralentissement résiste au temps et à l’évaluation de son efficacité par d’autres équipes.

[1] Cette vision est compatible avec la théorie du monde intense de Markram et Markram (2007, 2010).

[2] Autismes, ralentir le monde extérieur, calmer le monde intérieur. Odile Jacob, 2014.

[3] http://centrepsycle-amu.fr/logiral/ pour PC ; site d’Auticiel® pour tablettes.

BG-bisLe Docteur Gepner travaille comme pédopsychiatre et psychiatre, dans un Samsah pour adultes autistes (50 adultes dans toutes les Bouches-du-Rhône), et dans un cabinet pluridisciplinaire pour enfants et adultes autistes, avec Carole Tardif, professeur de psychologie et psychopathologie du développement à l’université d’Aix-Marseille (AMU), en lien et en réseau avec de nombreux professionnels, pédopsychiatres, pédiatres, psychologues, orthophonistes, psychomotriciens du secteur public ou privé, enseignants, MDPH… des Bouches-du-Rhône, et de la région PACA et parfois au-delà… Il travaille également comme chercheur associé dans un laboratoire CNRS (Neurobiologie des interactions cellulaires et neurophysiopathologie, faculté de médecine Marseille Nord) au sein duquel il mène avec François Féron (professeur de neurosciences à AMU et chef d’équipe) des recherches sur les cellules souches olfactives d’adultes avec autismes ; chargé d’enseignements en psychologie, médecine et neurosciences à AMU. Enfin, il préside la Fédération autisme vie-entière (FAVIE), une association qui informe les familles, les professionnels et les étudiants de la région PACA, sur la réalité multiple et complexe des autismes, à travers des conférences-débats où s’expriment des professionnels, cliniciens ou chercheurs, mais aussi des personnes avec autismes, leur fratrie ou leurs parents, ou des représentants associatifs.

Découvrez une vidéo d’une des conférences données par le docteur Gepner lors de l’ITASD à Paris ci-dessous :


Ralentir les informations de l'environnement… par fondationorange

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