Dans le domaine du handicap et de sa prise en charge spécifique, un débat revient souvent ; faut-il désinstitutionnaliser la pratique ?
En bref, les structures d’accueil et de vie spécialisées ont-elles encore leur place dans une société qui tend à favoriser l’autonomie et l’inclusion des personnes handicapées au sein de la société ?
Et surtout, comment faire ? Comment sortir du dogme pragmatique de l’exclusion par l’institutionnalisation ?
Mais aussi, comment assurer un cadre de vie décent, inclusif et bienveillant pour les personnes handi·e·x notamment en cas de désinstitutionalisation ?
Comment envisager, par exemple, la perte des parents, souvent pierre angulaire de l’accompagnement de certaines personnes handi·e·x ?

Le débat Institutions / Inclusion revient donc sans cesse sans qu’une voix commune ne se dessine.
Faut-il fermer les établissements pour aller vers une inclusion toujours plus forte ? Faut-il faire de l’institution un archaïsme ? L’inclusion serait-il un idéalisme naïf ? Entre revendication militante et exigence du terrain, ce sont parfois les extrêmes qui s’affrontent, au détriment des vécus, des singularités, des efforts déjà accomplis… et des chemins encore à parcourir.
Ce texte propose un état des lieux historique et contemporain, une exploration des positions militantes et de terrain (prônant notamment la désinstitutionalisation partielle ou accompagnée), les recommandations internationales, et des pistes concrètes y compris du côté Hop’Toys pour dépasser le clivage binaire.
L’idée n’est pas d’imposer une vision absolue au détriment d’une autre mais de faire remonter les histoires, les réalités et les vécus rencontrés.
Croiser les regards, pousser la réflexion et accompagner vers un mieux commun.
Article rédigé suite au colloque d’AFG Autisme et la prise de parole d’Evelyne Friedel, co-fondatrice de l’association.
Un bref historique : de l’institution à la désinstitutionalisation
- Aux XIXᵉ et XXᵉ siècles, les personnes handicapées (troubles mentaux, déficiences intellectuelles) étaient pour l’essentiel confiées à des hospices ou asiles, souvent sous le double signe de la séparation sociale et de la “rééducation” coercitive. Ces lieux étaient souvent extrêmement maltraitants et déshumanisants.
- Dans la deuxième moitié du XXᵉ, et surtout dans les années 70-2000, on voit émerger en France (et ailleurs, notamment en Italie puis aux USA) des critiques du modèle institutionnel : attentes de vie sociale, de citoyenneté, revendications d’autonomie, de droits humains. Le mouvement de “désinstitutionalisation” prend alors forme de façon plus concrète.
- Les lois, normes, recommandations internationales participent à ce tournant : la Convention relative aux droits des personnes handicapées (CDPH), les bonnes pratiques professionnelles (HAS, ex-ANESM), les politiques d’inclusion au sein de l’ONU / UNICEF / OMS, pointent également vers des solutions de désinstitutionalisation.

Recommandations internationales et cadres normatifs
Quelques repères, qui peuvent aider à poser une “charte de ce qui devrait être” plus qu’une simple critique :
- Convention relative aux droits des personnes handicapées (CDPH) : droit à la non-discrimination, à la vie indépendante, à la participation sociale. L’institution ne doit pas être un lieu de privation de liberté ou de droits. La désinstitutionalisation en ligne de mire.
- Stratégie des Nations Unies pour l’inclusion du handicap : insiste sur le caractère transversal du handicap, l’analyse intersectionnelle (âge, genre, lieu de vie…), la nécessité d’indicateurs, de planification stratégique, de responsabilité.
- Rapport mondial sur l’inclusion du handicap (Sommet mondial 2025) : rappelle que l’inclusion n’est pas un luxe mais un droit humain, qu’il faut des partenariats, des investissements, des cadres juridiques alignés, la participation active des personnes concernées. (Sommet mondial sur le handicap)
- OMS – équité en santé pour les personnes handicapées : 40 mesures clés identifiées pour réduire les inégalités de santé chez les personnes avec handicap, la santé n’est pas juste une question de soins, mais aussi d’accès, d’environnement, de compréhension, de communication, de reconnaissance. Organisation mondiale de la santé

Où en est la France aujourd’hui ? État des lieux
- Les structures institutionnelles restent nombreuses : IME, ESAT, foyers, établissements spécialisés. Certaines d’entre elles évoluent mais le changement est souvent lent. Les critiques faites aux ESAT par exemple concernent notamment le droit du travail, la syndicalisation, l’assurance chômage, retraite, etc.
- AFG Autisme affiche clairement des engagements : intégration individuelle ou collective dans tous les lieux de vie, inclusion effective et non “de façade”, mise en place de projets individualisés, formation continue des professionnels, choix des outils de communication adaptés.
- Des politiques locales montrent des innovations : inclusion scolaire avec aménagements, services de jour, “répit” aux familles, clubs adaptés, inclusion dans le sport… Mais la couverture territoriale est inégale, les délais de prise en charge longs, les ressources (humaines, financières) insuffisantes dans de nombreuses zones.
- L’“institution juste” (entendue comme institution qui respecte les droits, la dignité, l’autonomie, etc.) est de plus en plus discutée comme un modèle possible quand l’institution doit exister. Et envisager la désinstitutionalisation lorsqu’elle est pleinement possible.

Est-ce que “Institutions vs inclusion” est la bonne question ?
Après cet état des lieux, on peut estimer que la seule question ne soit pas Institution OU Inclusion, mais 5 questions plus précises :
- Quelle inclusion, sous quelles conditions ?
L’inclusion sans moyens, sans formation, sans aménagements adaptés peut être plus dommageable que l’institution, si elle conduit à l’épuisement, à la stigmatisation, à l’échec répété et finalement à la mise en place de solution inadaptées. - Quel droit au choix et à la réversibilité ?
La personne concernée (et/ou sa famille) doit pouvoir choisir le cadre (établissement spécialisé, inclusion partielle, milieu ordinaire), et donc en changer si les besoins évoluent. Pas d’enfermement non désiré, pas de fracture irréversible. Accompagner la désinstitutionalisation. - Qualité plutôt que posture.
Le souci doit être la qualité de vie, le respect, la dignité, pas seulement la conformité à une idée d’inclusion. Un “petit pas” dans le milieu ordinaire avec de bons accompagnements sera plus efficace qu’une inclusion brute sans appui. - Pluralité de parcours, modularité, souplesse.
Reconnaissance que chaque trajectoire est unique, que certaines périodes de la vie nécessitent plus de cadre, d’autres plus d’indépendance. Bien articuler les offres spécialisées et ordinaires. - Responsabilité collective : État, collectivités, institutions, associations, entreprises.
une inclusion véritable exige de la cohérence dans les politiques publiques, dans le financement, dans la formation des professionnel·les, dans l’accessibilité, dans la culture et dans le travail. Ce n’est pas une question que l’institution ou l’association (ou la famille) peuvent résoudre seules.

Ce qui nous touche chez Hop’Toys
En tant qu’acteur engagé dans la singularité et l’inclusion, Hop’Toys joue plusieurs rôles concrets :
- Développer / promouvoir des outils & ressources d’aménagement sensoriel, de communication alternative, de compréhension des environnements pour faciliter l’inclusion dans le milieu ordinaire (école, travail, vie sociale).
- Sensibiliser non seulement les familles mais aussi les professionnel·les (enseignant·es, collectivités, employeurs, milieu médical et de soin) aux besoins spécifiques (sensorialité, fatigue, bruit, lumière, routines) pour que l’environnement soit « vivable » quel que soit le cadre.
- Accompagner les familles dans l’évaluation de ce qui marche, ce qui fatigue, ce qui doit donc être adapté … En publiant des guides, des articles, en organisant des ateliers ou des partenariats locaux.
- Revendiquer / soutenir la réversibilité : droit de changer d’orientation, de cadre, d’essayer des inclusions partielles, de revenir en établissement si besoin, sans jugement ni culpabilisation. Et équiper les structures recevant du public pour qu’elles soient les plus inclusives possibles !
- Œuvrer à faire connaître les expériences de terrain positives : visibiliser des parcours mixtes, des transitions entre institution et inclusion, pour inspirer les politiques publiques.

Ce que signifie, pour nous « bien poser la question » ?
- Refuser le dogme, accepter la complexité : l’institution n’est pas automatiquement mauvaise en l’absence de solutions alternatives viables, financées, accompagnées et pensées avec les personnes concernées. L’inclusion seule n’est pas systématiquement et automatiquement bonne si elle est mal accompagnée, manque de moyen, d’information et de suivi.
- Mettre le vivant et le concret, au centre : les personnes, leurs besoins, leurs vécus, pas uniquement les idéologies.
- Imposer aux décideurs publics que le droit au choix, à la dignité, à l’autonomie sot réellement garanti, non pas comme promesse abstraite, mais comme actions, financements, accompagnements, indicateurs et pouvoir législatifs.
- Ne pas opposer, mais articuler : saisir l’institution quand elle est nécessaire, la sortir quand elle ne l’est plus, aller vers l’inclusion aussi loin que possible, mais toujours de manière respectueuse des personnes.

Désinstitutionnaliser pour entrer en conformité avec les recommandations est inévitable et même souhaité à condition que les moyens soient mis en place pour qu’un accompagnement global puisse être proposé.
La société doit également jouer entièrement son rôle en accueillant, incluant et favorisant l’accès aux structures, emplois, lieux de vie et aménagements sociaux auprès des personnes handicapées tout en prenant en compte les besoins spécifiques de chaque personne.
En attendant, et pour accompagner la transition à venir vers une désinstitutionalisation, soutenons les actions de terrain, les initiatives engagées et concrètes des structures spécialisées sans perdre de vue la vigilance indispensable pour éviter toute dérive déjà observées dans notre Histoire.