Nous avons accepté de partager des étapes de la vie d’Eva-Lune dans le but de faire changer les choses. Nous souhaitons montrer qu’il est possible de faire bouger les lignes, parce que d’autres parents continuent de subir ce que nous avons connu. La trisomie 21 est un handicap visible, de nombreux préjugés et une présomption d’incompétence qui persistent.

Eva-Lune est née à la fin de l’été 2004. Elle avait bien caché son jeu et avait déjoué toutes les détections ! L’effet de surprise passé, nous lui avons expliqué qu’elle avait quelque chose en plus. Que ça ne serait pas facile, mais qu’elle grandirait comme son frère et sa sœur, que l’on croyait en elle ! Ces mots ont été importants pour nous, ses parents, et pour son frère et sa sœur. Et d’autant plus importants pour elle, afin qu’elle se construise avec cette particularité.

Voici le témoignage de sa maman sur le parcours d’Eva-Lune durant son enfance, mais aussi le témoignage d’Eva-Lune sur son avenir, tel qu’elle se l’imagine.

Le regard de la société

En février 2005, la loi sur l’égalité est promulguée : nous nous sommes dit que nous avions de la chance, que la société allait évoluer.

Ce que nous avons constaté, et constatons, c’est la perte de la mesure et de la portée des mots. Nous avons toujours le sentiment d’être redevable « vous avez de la chance, il reste de la place », qu’on nous fait la charité alors que l’accès à l’école est un droit humain fondamental, comme l’accès à une formation, à un travail. Eva-Lune n’aspire qu’à avoir une vie ordinaire. C’est sans compter qu’avec une trisomie 21, les parcours sont écrits d’avance.

Le médico-social et le monde de l’éducation nous ont toujours livré leurs pronostics (même si on ne demandait rien !), nous avons cru en ses capacités à relever les défis. On nous a assidûment bien vendu l’IME, cela n’a jamais été notre choix. On a souvent tenté de nous faire culpabiliser, nous avons toujours eu suffisamment confiance en elle pour guider nos choix. On ne nous a jamais encouragés dans nos choix d’orientation, nous avons fait valoir ses droits. On nous a considérés comme des parents qui n’avaient pas compris. Que doit-on comprendre lorsque les préjugés prennent le pas sur toute autre considération, au mépris des lois ? Nous avons poursuivi avec détermination sur la voie de l’inclusion, mais les freins institutionnels sont nombreux.

Trisomie 21 : le parcours scolaire et de vie d'Eva Lune

L’inclusion

Nous étions des parents confiants, discrets, avec des attentes ordinaires, mais devant la violence des institutions, nous avons dû nous défendre, apprendre la confrontation, faire valoir nos droits, mais surtout les siens, faire de la veille juridique (!) parce qu’il est si facile de passer sous silence un décret, une circulaire ministérielle qui lui serait favorable. Il faut être tenace, ne rien lâcher malgré ces mots culpabilisants « dans l’intérêt de l’enfant ».

En effet, comment faire comprendre à l’école qu’un élève avec une déficience intellectuelle ne sera JAMAIS sur les mêmes courbes d’apprentissage, tant sur le rythme que sur le volume des acquisitions, qu’un élève ordinaire ? Il ne rattrapera pas son retard et ce décalage va se creuser avec les années.

Un objectif : apprendre

Nous considérons que tout est une question d’objectif. Elle n’est pas allée en maternelle « juste pour la socialisation », elle est scolarisée pour apprendre. Pour avoir sa place, elle devait faire comme les autres, voire mieux parfois, puisqu’au moindre problème, l’orientation apparaissait comme LA solution : « Vous comprenez, c’est trop compliqué, on n’a pas de moyens, on n’est pas formés » (nous non plus à la base…) Il faudrait donc qu’elle soit une élève avec une trisomie, mais qui fonctionne comme les autres, sans besoin d’adaptation, sans handicap du coup ? Soyons un peu sérieux, ce n’est ni le sens la loi de 2005 ni ce qu’on doit mettre en préalable à toute entrée à l’école.

Pour prétendre à une place en CAP, elle a déjà fait de nombreux stages. Quatre stages en immersion dans des crèches ou à la Maison d’Accueil Maternel, ainsi qu’un mini-stage dans le lycée pro où elle se projette déjà. Combien d’élèves dits « ordinaires » ont fait 4 stages en classe de 3e pour confirmer leur choix d’orientation ?

Comme tout jeune, Eva-Lune a droit à la présomption de compétences, un enfant, quel que soit son handicap ne prend pas la place d’un autre à l’école. Il n’empêche pas les autres de progresser, mais bien au contraire leur apprend juste à être plus tolérants, plus respectueux, à comprendre que chacun d’entre eux peut aider et en retirer de la fierté, de la reconnaissance.

Nous croyons aux possibles pour elle comme pour tout jeune de 15 ans, car l’avenir ne s’écrit pas, il se prépare.

>> Inclusion : Affichons notre volonté ! 

Trisomie 21 : le parcours scolaire et de vie d'Eva Lune

Le parcours scolaire

Un accompagnement précoce

Elle a 15 ans, comme la loi handicap.

Eva-Lune a bénéficié d’un accompagnement précoce (psychomotricité, orthophonie) en Centre d’Action Médico-Social Précoce (CAMSP) et à la maison nous l’avons toujours largement encouragée, stimulée, nous lui avons donné confiance pour avancer.

Le langage a mis du temps à émerger, nous avons tous en mémoire nos fous rires parce qu’elle avait un mot passe-partout « trrr trrr » qu’elle nous servait à toutes les sauces ! On ne comprenait pas toujours ce qu’elle demandait et chacun allait de sa supposition, autant dire qu’elle avait toujours plus que ce qu’elle attendait ! L’orthophoniste a démarré le Makaton (un signe = 1 mot) et nous avons suivi : nous nous sommes formés. Cet outil a été une révélation pour elle : elle utilisait les signes, puis les pictogrammes à travers les albums que je lui réécrivais. Quand elle a commencé à articuler et utiliser les mots, elle a progressivement lâché les gestes.

En 2005, nous étions donc pleins d’espoir.

L’entrée à l’école

La question de l’école s’est posée assez tôt, les démarches ont été entamées avec l’école au printemps, elle avait 2 ans et demi : à la première et unique rencontre, on me concède 2 heures de scolarisation par jour et sous conditions : arriver à 9 h pour ne pas gêner les autres enfants et venir la chercher à 11 h parce que les autres se préparent pour la cantine, pas d’accueil l’après-midi pour ne pas perturber la sieste. Nous n’étions pas prêts à ce que sa première expérience de l’école rime avec exclusion. Elle a fréquenté l’école Montessori de Grenoble.

À 6 ans, en toute naïveté, nous avons prétendu qu’elle pourrait faire sa rentrée en CP. Cette fois-ci dans notre village, afin de lui épargner la fatigue des trajets jusqu’à Grenoble et surtout pour qu’elle côtoie les autres enfants. Cette année-là, nous avons quémandé le droit d’aller à l’école : une demande d’orientation rejetée par la Maison de l’Autonomie (MDPH), donc la demande d’AVS également, avec la fameuse notification d’un dossier déposé 7 mois plus tôt qui arrive le 30 juin, soit 5 jours avant la dernière CDPAH. Comme le décrit si bien Nicole Ferroni, nous exigeons de passer devant la CDAPH et nous avons droit à la bonne grosse commission : devoir se justifier pour qu’elle ait le droit d’entrer en CP et qu’on lui attribue quelques heures d’AVS, parce que pas d’AVS, pas d’école (mais ça toutes les mamans le savent !).

Après la première Équipe Suivi de Scolarisation, nous avons pris l’engagement mutuel avec mon mari, de n’aller aux ESS qu’à condition d’être deux afin de se soutenir et de ne pas en ressortir « dézingués ».

Après le primaire

Trois ans plus tard, elle terminait la primaire en classe Ulis, presque 2 ans de répit… Parce qu’après l’Ulis primaire, nous voulions qu’elle poursuive en Ulis collège. Nous avons eu la chance, cette année-là, d’avoir eu un référent de scolarité à l’écoute et qui a fait son travail : il a tenu compte de nos choix, nous ses parents, il nous a écoutés, il nous a accompagnés, il n’a pas tenté de nous dissuader, d’avancer des interprétations fallacieuses des textes qui encadrent l’accès à l’école pour les élèves avec handicap.

Elle est entrée en Ulis collège à la rentrée 2016. Elle avait des cours en inclusion et des heures en Ulis avec un programme adapté. L’inclusion réussie repose sur la volonté de mettre en place ou pas les conditions favorables à la scolarité. Si nous avions dû la déscolariser au premier « ça ne va pas être possible, nous n’avons pas les moyens », elle ne serait jamais allée à l’école.

Cette année, elle a également intégré une formation préparatoire à l’apprentissage afin d’expérimenter une posture professionnelle. Cela a été positif, elle était mise en confiance, elle s’est vue « en capacité de » et l’estime de soi, c’est essentiel pour poursuivre.

>> Trisomie 21 : Quels accompagnements au quotidien ? 

Trisomie 21 et enfance

Eva-Lune 15 ans, et une furieuse envie d’être comme les autres

J’aime beaucoup les petits enfants, en prendre soin : donner le repas, aider au change. Je veux aller en CAP petite enfance pour travailler dans une crèche, j’ai déjà fait plusieurs stages. Je fais de l’escalade dans un club de sport adapté, je suis vice-championne de France en moins de 16 ans, je fais du ski, du roller, j’aime aussi aller à la patinoire et à la piscine. Au collège, en sport, c’est souvent hand, basket, volley… Les ballons ce n’est pas mon truc, alors j’aide l’arbitre. J’aime beaucoup faire les boutiques avec ma sœur, la mode et les trucs de fille. J’écoute beaucoup de musique, ma chanteuse préférée, c’est Rihanna. Je voudrais que les gens soient plus sympas, avoir plus de copines et de copains. Moi, je veux avoir une vie comme les autres, je veux grandir, avoir un copain, un appartement, je veux apprendre un métier et pouvoir faire seule, me débrouiller et voyager. Je voudrais qu’on trouve une solution pour mes cheveux parce que je n’aime pas qu’on me fixe, les gens me regardent, et ça, c’est vraiment très pénible

Eva-Lune ne se voit pas comme une personne handicapée. Elle se voit comme une jeune de 15 ans, avec des rêves. Son plus gros handicap, c’est la perte de ses cheveux liée à un déficit de l’immunité. C’est ce qu’il y a de plus douloureux, les regards sont insistants et lourds à porter.

>> À lire : Porteurs de trisomie 21, eux aussi, il peuvent le faire ! 

L’association Le Champ des Possibles, qu’est-ce que c’est ?

Association Le Champs des PossiblesL’association Le Champ des Possibles a été créée en octobre 2019 à l’initiative de plusieurs parents d’enfants ayant des besoins spécifiques, mais des attentes ordinaires ! Elle a pour vocation de favoriser l’inclusion des personnes en situation de handicap. Elle soutient également les familles et porte des actions de sensibilisation en direction des plus jeunes et du grand public.

Le Champ des Possibles revendique la place du parent comme expert de son enfant. Nous avons constaté que les difficultés n’étaient pas liées au type de handicap, mais à ses manifestations ainsi qu’au regard qui est porté sur la personne.

Le Champ des Possibles a l’ambition de construire des projets ouverts à tous et autour de différents handicaps. Le but étant d’apprendre à se connaitre, de déconstruire les préjugés et, surtout, de partager du temps TOUS ensemble !

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