Jeudi 22 avril 2021, nous vous avions donné rendez-vous pour un atelier en ligne afin de vous aider à mieux accompagner les malades d’Alzheimer dans leurs déplacements quotidiens. Notre invité Marcel Camilleri est ergothérapeute avec une expérience de plus de 15 ans dans le monde de l’ergothérapie dans le domaine médico-social et formateur au sein de l’organisme Ekam formation qu’il a créé en 2013. Pendant une heure, Marcel a analysé des situations de la vie de tous les jours et vous a donné ses conseils pour comprendre l’impact de la maladie d’Alzheimer dans le mouvement et dans le corps du patient.
Que vous soyez accompagnateur professionnel de personne dépendante ou que vous ayez une personne de votre famille atteinte d’Alzheimer ou de démence, ses conseils vous aideront, entre autres, à mieux prendre soin de votre posture et de celle de la personne que vous accompagnez. Découvrez le récapitulatif de ce live et le replay en fin d’article.
Les patterns et les déplacements
Un pattern est un automatisme que l’on va mettre en place et déclencher à travers un stimuli. L’être humain a plein de patterns. Nous sommes en permanence amenés à réagir en mode automatique et heureusement, sinon nous serions tout le temps en hypersollicitation. Donc on a créé un certain nombre de « programmes » que l’on déclenche en fonction des stimuli reçus.
Par exemple, si je tends la main à quelqu’un, spontanément la personne va répondre et on va se serrer la main. Spontanément, j’aurais envoyé un stimuli que la personne va identifier et automatiquement, cela va déclencher chez elle toute la séquence motrice de réponse et on va se serrer la main.
Quand on commence à étudier la motricité des êtres humains, on s’aperçoit que toute notre motricité, tous nos déplacements, ont été appris, acquis au cours de notre développement psychomoteur. Le jeune enfant explore, expérimente, imite l’adulte pour mettre en place sa motricité. Cette motricité va se perfectionner par la répétition, jusqu’à trouver les schémas parfaits et créer des patterns.
Par exemple, pour se lever d’une chaise, cela va être difficile au début pour le jeune enfant. Au fur et à mesure, il va se perfectionner jusqu’à trouver le schéma le plus parfait qu’il puisse trouver. Il va trouver l’équilibre parfait, la position parfaite des pieds, comment se pencher en avant, quand contracter ses muscles, etc., et créer ainsi le pattern « se lever d’une chaise ». Ce pattern est facilement utilisable, il suffit d’un stimuli. On ne va pas réfléchir à comment organiser notre corps pour se lever, cette motricité est automatique. Ces patterns ont donc été appris et font appel à notre mémoire procédurale.
>> À télécharger aussi : « La motricité libre en une infographie »
L’accompagnement dans les déplacements
L’importance de l’observation
Ces patterns sont tellement ancrés en nous que l’on a oublié comment on les réalise et cela peut impacter notre façon d’aider les personnes à se déplacer. L’observation dans l’accompagnement est capitale. Il est très important d’observer aussi bien les capacités de la personne que ses difficultés. Vous pouvez également observer comment une personne qui ne rencontre aucune difficulté se déplace, quels mouvements faire pour se relever d’une chaise par exemple. Si je veux aider mon patient ou mon parent qui a des difficultés à se déplacer, je comprends alors qu’il y a un mode d’emploi, il y a des étapes à respecter dans un certain ordre. Par exemple, pour l’aider à se relever d’une chaise, il faut d’abord bien positionner les pieds, puis les genoux, faire une bascule avant, etc.
Plus on observe les capacités des personnes, plus on va pouvoir voir où elles ont besoin d’être accompagnées et stimulées. À travers des activités, on va pouvoir venir compenser ces manques qu’on a dans les déplacements. Par exemple, si une personne présente des difficultés avec la bascule avant, il va être intéressant de venir la solliciter à travers des activités quotidiennes vers l’avant. Je vais faire attention également lorsque je vais aider cette personne à ne surtout pas la gêner dans son mouvement vers l’avant. Aussi, je vais faire attention à ne pas la redresser directement lorsque je l’aide à se lever, mais à bien accompagner ce mouvement de bascule vers l’avant avant le redressement.
Apporter un stimuli pour déclencher le pattern
Marcel Camilleri conseille également de ne pas baisser les bras trop vite et d’éviter de faire à la place de la personne.
La première étape est de verbaliser : je demande à la personne si elle veut bien m’accompagner ou si elle veut bien se lever. Je ne lui demande pas d’essayer de se lever ou si elle peut se lever, parce qu’en communiquant de cette manière on met la personne un petit peu en défi de réussir. En lui demandant si elle veut bien m’accompagner, je cherche à voir si le stimuli va venir déclencher le pattern. À partir de là, je vais pouvoir voir si le pattern est accessible et s’il en manque une partie.
Par exemple, je pourrais observer que les pieds de la personne ne sont pas bien placés pour se lever. Dans ce cas, je pourrais lui demander de reculer un petit peu ses pieds : « Madame, vous voulez bien reculer un peu plus vos pieds ? Vous allez voir cela va vous aider pour vous lever ».
Quelques conseils supplémentaires
Pour communiquer, j’utilise un seul canal sensoriel. Si j’utilise le verbal, je fais très attention à ne pas en même temps lui toucher les pieds. Sinon, on amène 2 informations, on utilise 2 canaux sensoriels et on peut saturer la réception d’information. Par contre, on peut verbaliser, puis après utiliser un autre canal sensoriel.
Il semblerait que le canal à privilégier en premier est le canal visuel. Avant tout accompagnement, il est donc essentiel d’accéder à un contact visuel. Ce contact visuel va vous permettre d’ouvrir les autres sens (auditif, tactile, etc.).
Je n’interviens pas physiquement tant que je n’ai pas créé de l’engagement chez la personne dans son déplacement. Si vous intervenez avant, la personne ne va pas déclencher son pattern.
Motricité et mémoire
La motricité est un ensemble de mécanismes appris qui font appel à la mémoire. Or, nous le savons, la maladie d’Alzheimer impacte la mémoire.
Le fonctionnement de la mémoire
Tout ce que nous apprenons, tout ce que nous restituons va passer par des mécanismes et la porte d’entrée de ces mécanismes est nos sens. À travers les sens, nous captons de l’information. Cette information va transiter par des filtres. Les filtres vont diriger ce que mes sens perçoivent. Par exemple, si vous êtes en train de lire ce billet, vous êtes concentré sur ce texte et vous n’allez pas entendre le chien au loin qui aboie.
Ces filtres vont diriger l’information vers un premier lieu qui s’appelle la mémoire primaire (on l’appelle également la mémoire à court terme). Dans cette mémoire, on ne retient les informations que sur un temps très court.
Pour que l’on retienne une information, il faut qu’elle passe dans la mémoire secondaire, à long terme. Notre mémoire secondaire va dispatcher l’information sur différents lieux du cerveau : la mémoire sémantique, la mémoire épisodique (qui correspond à la mémoire autobiographique, à tous les événements majeurs de notre vie), la mémoire procédurale où on emmagasine toutes nos procédures (jouer du piano, faire du vélo, etc.) et la mémoire affective.
La maladie d’Alzheimer et la mémoire
Dans la maladie d’Alzheimer, on a une problématique au niveau des filtres qui ne fonctionnent pas comme ils devraient. Soit ils vont trop sélectionner et ne vont laisser rentrer qu’une information. Ou alors les filtres vont être trop élargis et la personne va recevoir trop d’informations ce qui peut créer de l’agitation.
Dans la maladie d’Alzheimer, il y a également une problématique du rappel de l’information stockée dans les différentes mémoires.
>> À lire : L’impact de la maladie d’Alzheimer sur la mémoire
La mémoire affective
La mémoire affective est la mémoire qui va être préservée le plus longtemps.
Si vous arrivez de côté vers une personne qui a ses filtres sensoriels réduits, même si vous l’avez interpellé, elle ne vous a pas forcément entendu. Si vous touchez la personne sans qu’elle vous ait vu arriver, elle va avoir peur, sursauter et cela va créer une tension. Elle pourra alors devenir agressive, agitée, refuser les soins, etc. Il faut prendre le temps de contourner la personne et de créer un contact visuel pour jouer sur cette mémoire affective et créer de la relation.
Il faut savoir « perdre du temps pour en gagner ». Ce temps que vous prenez pour créer de la relation n’est pas perdu. Il va permettre de créer de l’engagement de la personne, de créer de la communication. Et ainsi, permettre de commencer à co-construire avec les personnes malades d’Alzheimer.
La mémoire procédurale
La mémoire procédurale, c’est tous les apprentissages, tous les gestes qu’on a appris, dont les déplacements. Les personnes vont souvent conserver plus longtemps les gestes qui ont été les plus répétés dans leur vie. Par exemple, une personne qui plie du linge tout le temps, il est possible que dans sa vie passée, c’était une personne qui prenait grand soin de sa maison. Elle retrouve un côté sécurisant et apaisant à faire et refaire ce geste. On peut donc utiliser la mémoire procédurale pour apporter de l’apaisement aux personnes angoissées ou agitées en les amenant à réaliser quelque chose d’utile pour eux.
>> À lire : « Alzheimer : la méthode Montessori adaptée »
Pour soulager les personnes agitées ou angoissées, il peut également être intéressant de prévoir une période calme ou une sieste au cours de la journée pour décharger un trop plein de stimuli qui empêche la personne de dormir au moment du coucher.
>> À lire : « Alzheimer : comportement d’errance ou de déambulation »
Le mot de la fin
Focalisons-nous sur les capacités des personnes plutôt que ce qu’elles ne peuvent plus faire. Ces capacités sont des trésors qui permettent de donner du sens. En cherchant à donner du sens à ce que la personne est capable de faire, on lui donne sa place. En ayant sa place, on reste dans la vie.