Trigger Warning : Sujet très difficile > Cet article fait mention des violences faites aux enfants autistes durant la seconde guerre mondiale.

Comme le dit si bien Noémie de Lattre « C’est avec les mots qu’on pense, et c’est avec les pensées qu’on crée le monde dans lequel on vit »

Il serait donc temps de regarder en face certains termes qui portent avec eux une lourde histoire.
Nous allons prendre aujourd’hui le temps de revenir sur le terme autiste Asperger, utilisé parfois pour définir une catégorie des personnes autistes et qui tient son origine du psychiatre autrichien Hans Asperger.

Un passé glorifié loin d’être une vérité

Si pendant plusieurs décennies, l’histoire de Hans Asperger a été décrite comme celle d’une victime collatérale du régime nazi de la seconde guerre mondiale, la réalité est en fait toute autre.

Image d'archive de Hans Asperger diagnostiquant un enfant autiste

Hans Asperger né en 1906 et mort en 1980 a obtenu son premier poste en 1931 suite à une « purge » qui a eu pour objectif d’écarter les médecins juifs (et une large partie des femmes exerçant les métiers de santé).
C’est donc dans ce contexte qu’il prend la direction de la clinique pédiatrique de Vienne un an après, en 1932.

Un an avant le début de la guerre, en 1938, il signait déjà ses courriers d’un « Heil Hitler » et adhérait à des organisations affiliées au régime nazi.

En 1940, Hans Asperger est chargé de diagnostiquer les « maladies héréditaires » aboutissant à la stérilisation contrainte des personnes concernées dans la lignée du programme eugéniste du régime nazi. 

Un homme au service d’une idéologie eugéniste et meurtrière

Durant toute sa carrière auprès du régime nazi, Hans Asperger aura pour responsabilité de diagnostiquer les enfants autistes en décidant de ceux qui étaient « dignes de vivre » ou non.

Il y avait d’un côté les enfants jugés “éducables” qui étaient épargnés des camps, de l’autre, ceux diagnostiqués comme “psychopathes autistiques”, qui étaient condamnés.

Couverture du livre d'Edith Sheffer : Les enfants d'Asperger

Edith Sheffer, dans son interview au Nation Geographic en mai 2025 :

Son langage se fait, en effet de plus en plus péjoratif au fil du temps. En 1940 il parle d’« un groupe d’enfants anormaux, que nous désignons sous le terme de  »psychopathes autistiques »… Ils vivent leur propre vie sans lien émotionnel avec leur environnement et réagissent ainsi anormalement aux besoins de celui-ci. » Puis, dans sa thèse de 1944, il écrit que « l’autiste n’est que lui-même (autos) et n’est pas un membre actif du grand organisme. » Le langage est devenu celui du fascisme.

Notons par ailleurs qu’Asperger ne diagnostiquera comme « sauvables » que des garçons. Leur nombre est dérisoire (quatre) comparé aux centaines envoyés dans les camps. (Filles et garçons par à cause du diagnostic d’ Hans Asperger).

Cet héritage est d’ailleurs l’un des facteurs à l’origine du diagnostique souvent plus difficile des filles et femmes TSA.
(Lire l’article > Autisme : Mieux diagnostiquer les filles )

Un héritage à repenser

Grâce aux travaux de recherches d’Edith Sheffer cette vérité a été mise à jour et le terme « Autiste Asperger » a été abandonné des manuels officiels au profit du terme « Troubles du spectre autistique » évitant ainsi les hiérarchisations entre les personnes autistes.
Lire notre article : L’autisme : un spectre, pas une échelle !

Télécharger nos infographies pour faire passer le message autour de vous :

L'autisme n'est pas mesurable, c'est un spectre


Deux infographies A4 à télécharger et imprimer !


Petite histoire dans l’Histoire :

Dans la lignée des grandes oubliées de l’histoire, il faut savoir que le terme « Autiste Asperger » aurait pu (et dû) ne jamais voir le jour.
Ainsi, c’est la psychiatre britannique Lorna Wing qui a nommé, dans les années 1980 ce trouble du spectre autistique « par courtoisie professionnelle » après ses propres recherches pour parler de syndrome et l’éloigner de termes péjoratifs et psychiatrisant.

D’autant que les recherches, l’idéologie et les méthodes de Lorna Wing sont très éloignées des conclusions et Hans Asperger.

Le terme aurait certainement été moins problématique s’il s’était appelé « Syndrome Lorna Wing »… !

Photo de Loran Wing, psychiatre britannique à l'origine du  terme « Autiste Asperger »

Photo de Lorma Wing, psychiatre britannique

Pour aller plus loin : Hans Asperger et la controverse historique

La figure de Hans Asperger reste débattue. certaines voix divergent sur son degré de connaissance et d’implication dans le programme nazi d’euthanasie infantile à Vienne.

  • Dean Falk (2019, Journal of Autism and Developmental Disorders) soutient qu’Asperger n’a pas collaboré sciemment au programme.
  • Tatzer, Maleczek & Waldhauser (2022, Acta Paediatrica) concluent qu’Asperger n’avait probablement pas connaissance du programme d’euthanasie lors de certains renvois de patientes vers l’institution Am Spiegelgrund en 1941.

Ces deux points de vues sont contestés notamment par Herwig Czech dont les travaux servent aussi de base à Edith Sheffer :

  • Herwig Czech (2018, Molecular Autism) propose une lecture plus critique, documentant des renvois et discours qu’il considère comme une forme de collaboration, même si indirecte.
  • Czech (2023, Acta Paediatrica, réponse à Tatzer) estime que les études défendant Asperger sous-estiment la gravité et la portée de ses actions dans le contexte de l’époque.

Si une zone d’ombre subsiste, sur l’intentionnalité avérée d’Asperger dans la volonté eugéniste et exterminatrice, nous préférons toujours incarner et appliquer un principe de précaution en choisissant de ne plus utiliser le terme.

Au-delà de Hans Asperger, une hiérarchie dommageable

Outre le passé de Hans Asperger, le terme a souvent servi à « classer » les personens autistes entre elles.
Différenciant parfois « les bons et les mauvais autistes ». Contribuant malgré lui à discriminer les personnes autistes et hiérarchiser l’autisme et les personnes autistes.
Rappelons-le, l’autisme est un spectre, pas une échelle. Et la binarité d’une définition ne saurait traduire la réalité des individu·es concerné·s.

Nous vous renvoyons à l’excellent article du site « Bien Être Autiste » qui parle de l’importance de bannir un terme clivant et préjudiciable auprès des personnes concernée et du grand public. Extrait:

Cachez cette binarité que je ne saurais voir

Comme toujours lorsqu’il s’agit de systèmes aussi complexes que des humains, essayer de les ranger en deux (ou trois ou quatre) catégories n’a pas de sens. Considérer qu’il existe d’un côté les Asperger et de l’autre les autistes, c’est ignorer tout ce qu’ils ont en commun et suggérer qu’un critère aussi simple que le langage parlé permet de trier les gens, deux aberrations scientifiques pour le prix d’une.
Pour décrire l’autisme, la notion de spectre reste la métaphore la plus adéquate, un spectre qui n’irait pas de « un peu » à « beaucoup » mais qui serait comme un diagramme de Kiviat[6], où plusieurs aspects du sujet traité coexistent et sont tous impactés d’une manière qui leur est propre.

Le respect de l’individu·e au cœur de l’autodétermination

Il est important de souligner que ce terme a pu être une bouée de sauvetage, une illustration qui se voulait positive auprès du grand public.

Photo d'une enfant calme sur un lit

De plus, beaucoup ignorent encore l’origine du terme et l’histoire d’Asperger.
Particulièrement auprès des personnes non-concernées qui utilisent encore le terme « Autiste Asperger » sans en connaître la signification et les implications.

Et pour les personnes concernées, le droit à l’information et aux termes alternatifs sont en effet primordiaux.

Le but de cet article n’est pas de stigmatiser encore davantage des personnes concernées qui utiliseraient le terme. Il s’agit d’apporter un éclairage actuel sur ce dernier.

Nous nous garderons donc de juger quiconque utilisant le terme. Nous faisons cependant le choix ne pas l’employer pour parler du TSA en notre nom.

Très important à souligner : ce n’est pas aux personnes non-concernées de dire à une personne concernée quel mot utiliser ou non !

Petit à petit, nos articles anciens qui ont fait mention du terme porteront un bandeau explicatif et un lien vers cet article afin d’apporter l’information nécessaire à l’évolution de notre lexique commun.

Et vous, connaissiez-vous l’histoire derrière ce terme ? Êtes-vous concerné·e par celui-ci ?

N’hésitez pas à utiliser l’espace commentaires pour vous exprimer, il est à vous !


Sources :

«Hans Asperger était complice du programme nazi visant à tuer des enfants» : pourquoi le terme de « syndrome d’Asperger » disparait

Avec « Les Enfants d’Asperger », l’historienne Edith Sheffer montre Hans Asperger en nazi et assassin d’enfants

2018.04.24.Le_Docteur_Hans_Asperger_national_socialisme_et_hygiene_de_la_course_dans_la_periode_nazie_de_Vienne.pdf

Hans Asperger — Wikipédia

Non-complicit: Revisiting Hans Asperger’s Career in Nazi-era Vienna – PubMed

An assessment of what Hans Asperger knew about child euthanasia in Vienna during the Nazi occupation – PubMed

Pourquoi on n’utilise plus le terme « Asperger » | Bien être autiste

Responsable éditorial chez Hop'Toys - Œuvrer pour l'inclusion parce que la société, c'est toi, c'est moi, c'est nous !

6 Commentaires

  • Alexia dit :

    Article dur à lire, mais merci de réhabiliter cette vérité nécessaire !

  • Quentin Surtel dit :

    Merci Alexia pour ce retour.

  • Emeline dit :

    Article très intéressant, merci pour l’éclairage

  • Quentin Surtel dit :

    Merci beaucoup, Emeline !

  • René dit :

    L’implication de Hans Asperger dans le programme eugénique nazi n’est probablement pas aussi claire : il repose sur l’article de Czech (repris ensuite dans un livre d’Edith Scheffer). Mais ce qui est rapporté par Czech a été contesté, par Falk https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/30887409/ puis par Tatzer https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/36239413/ ce qui a suscité un vif débat entre Czech et ces auteurs. Pour rétablir la chronologie, le syndrome d’Asperger avait disparu avec le DSM-5 (avant qu’on ait connaissance du possible passé nazi d’Asperger) car sa définition était très floue, non consensuelle et les centres diagnostiques même experts avaient beaucoup de difficulté à faire un diagnostic fiable. Lorsque Lorna Wing a réhabilité ce diagnostic à la suite de l’étude de Camberwell, c’était pour montrer qu’il existait une petite proportion (dans cette étude) d’enfants avec la triade autistique de Wing qui ne présentaient pas de retard majeur sur le plan langagier et en terme de comportement adaptatif, à coté de d’autismes typiques et d’enfants présentant ce qui allait devenir le TED non spécifié : c’est ce qui a abouti finalement à la notion de TSA.

  • Quentin Surtel dit :

    Bonjour René, merci d’avoir pris le temps pour apporter une piste de réflexion. Nous avons mis à jour l’article avec vos sources pour compléter la lecture et laisser à chacun·e le possibilité de se faire son avis.
    Belle journée.

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