Il nous tenait particulièrement à cœur, ce live exceptionnel sur la scolarisation des enfants porteurs de handicap. Et nous tenions à vous le proposer avant la fin de cette année si particulière. Mercredi 2 décembre, Hop’Toys organisait en effet une table ronde autour d’un sujet sensible, mais aux fondements même de l’inclusion : celui de la scolarisation des enfants porteurs de handicap. Nous avions invité cinq actrices de l’inclusion, cinq femmes exceptionnelles, enseignantes, mamans, militantes à échanger et à nous présenter les projets inclusifs et innovants qu’elles portent.

Sonia Ahehehinnou, Vice-Présidente de l’Unapei sur la mission Éducation-Scolarisation, Stéphanie Chanier, professeure ressource sur les TSA et Nathalie Dua orthophoniste au CRA dans le Puy-de-Dôme, Laura Cobigo Professeure des écoles et Présidente de l’association des Carrés dans des ronds et Laure Sautreau, Professeure des écoles également et présidente de l’association Isaé ont dressé à cette occasion un état des lieux de la situation de la scolarisation des enfants avec handicap en France, présenté les dispositifs existants ainsi, donc, que les actions qu’elles ont mis mis en place pour faciliter les apprentissages et la socialisation des enfants et des adolescents porteurs de handicap. Un moment fort et riche d’enseignements, dont nous vous proposons ici un récapitulatif et le replay.

Des solutions de parents face à l’inexistant, pas un palliatif

Si nos intervenantes présentaient ce soir-là des solutions de scolarisation ou de soutien à la scolarisation qu’elles ont mis en place face à l’inexistant, face à un manque, il ne s’agissait pour aucun de nous de véhiculer l’idée que ces initiatives locales devraient pallier les missions publiques de l’État.
Car, il faut le rappeler, la scolarisation est un droit pour tous les enfants, quels que soient leurs besoins spécifiques. C’est un droit consacré par la Loi française, notamment celle de février 2005 dite « d’égalité des droits et des chances », par la Convention relative aux droits des personnes handicapées de 2006, par l’ONU… Et c’est pourtant un droit qui, en 2020, n’est toujours pas pleinement appliqué.

2020 qui aurait dû être l’année où « aucun enfant [ne serait] sans solution de scolarisation à la rentrée » d’après ce qu’avait annoncé Emmanuel Macron en février aura au contraire, à cause de la pandémie, éloigné encore plus ces enfants de l’école. On était à la rentrée encore très loin de l’objectif et c’est ce qui a poussé l’Unapei à relancer fin août sa campagne #jaipasecole. 

L’Unapei : des établissements et des campagnes d’alerte

L’origine de l’Unapei ? Des parents qui ont voulu trouver des solutions pour leurs enfants

Comme nous le rappelait d’abord Sonia, l’origine de l’Unapei, qui est la première fédération française d’associations de représentation et de défense des intérêts des personnes handicapées mentales et de leurs familles, ce sont des parents qui il y a plus de 60 ans n’avaient pas de solution d’accompagnement pour leurs enfants en situation de handicap. Ils ont toqué à toutes les portes, trouvé des financements, des locaux pour accompagner leurs enfants. C’est comme ça que se sont montés les premiers établissements.

Comme les autres associations que nous allions découvrir dans le cadre de cette table ronde, l’Unapei est issue de la volonté de parents qui ont voulu trouver des solutions pour leurs enfants.

Toutes ces associations qui ont construit des établissements se sont réunies en fédération et ont décidé de militer et de défendre les droits des personnes et des familles de personnes en situation de handicap, enfants, adultes comme personnes vieillissantes.

L’Unapei ce sont 500 associations réparties partout en France métropolitaine et en outre-mer dont 310 qui ont créé des établissements et des services pour les personnes.
30 000 enfants sont accompagnés par des associations de l’Unapei, soit dans des IME (Instituts Médicaux Éducatifs) soit par des soins externalisés, les SESSAD (Service d’Éducation Spéciale et de Soins à domicile) qui se déplacent dans les lieux de vie des enfants et dans les établissements.

De quoi parle-t-on quand on parle de scolarisation d’enfants porteurs de handicap ?

Sonia Ahehehinnou, nous faisait d’abord remarquer la complexité du processus de scolarisation des enfants porteurs de handicap. Pour leurs parents il ne s’agit pas simplement d’aller en Mairie inscrire son enfant, comme pour un enfant « ordinaire » qui entre ainsi à la maternelle et suit son cursus. Pour un enfant avec handicap, ce n’est pas si simple !

Plusieurs dispositifs d’accompagnement existent :

  • le PAI (Projet d’Accueil Individualisé) pour les enfants ayant besoin de soins (allergie alimentaire, soins infirmiers…)

Certains enfants ayant des besoins spécifiques ont besoin d’un accompagnement pédagogique ; celui-ci peut relever 

  • d’un PAP (Plan d’Accompagnement pédagogique) : il s’agit d’un aménagement pédagogique, parfois avec un soutien matériel (ordinateur bien souvent) pour des élèves présentant des troubles des apprentissages (troubles Dys par exemple)
  • d’un PPRE (Plan personnalisé de Réussite Éducative). Il est mis en place face à des difficultés d’ordre scolaire nécessitant un accompagnement un peu plus renforcé et notamment une aide humaine ; un·e AESH, donc, pour un accompagnement éducatif individualisé ou collectif (partagée par plusieurs enfants ou plusieurs établissements).
  • Quant au PPS, il concerne les élèves porteurs de handicap pour lesquels une notification de la MDPH a été émise.

Lorsqu’un enfant a besoin d’un accompagnement encore plus renforcé, qu’il doit être accompagné par des équipes extérieures (médico-sociales notamment) une scolarisation à l’intérieur d’un établissement médico-social  peut être mise en place. Ce sont les UE (Unité d’Enseignement) qui peuvent aussi également être externalisées.

Dispositifs handicap et troubles école

À cela s’ajoutent les dispositifs ULIS (Unité localisée d’inclusion scolaire).

Pour les enfants porteurs d’autisme, il existe des unités très spécifiques : UEMA (Unité d’Enseignement Maternelle Autisme) ou UEEA (Unité d’Enseignement Élémentaire Autisme).

Un enfant peut aussi être suivi par un SESSAD qui interviendra au sein de l’école en appui de l’élève.

De nouveaux dispositifs ont récemment été mis en place :

  • dispositifs d’appui à l’équipe pédagogique,
  • dispositifs d’autorégulation qui interviennent auprès de l’équipe éducative pour accueillir un enfant avec autisme avec le renfort d’un enseignant référent, d’un psychologue, ergothérapeute et psychomotricien.

Pour autant que ces dispositifs existent, il reste encore des trous dans la raquette, déplore Sonia et beaucoup d’enfants se retrouvent, soit sans solution de scolarisation, soit avec un temps de scolarisation tout à fait inadapté.

Que met-on derrière les chiffres de scolarisation effective ?

La question de l’application des notifications de la MDPH ?

L’équipe pluridisciplinaire de la MDPH (Maison Départementale des personnes handicapées) doit recueillir un certain nombre d’éléments qui vont permettre de considérer les besoins de l’enfant et d’établir un projet personnalisé. Celui-ci va détailler tous les besoins de l’enfant et permettre de l’orienter vers un mode de scolarisation.

Lorsque sur le terrain, la réalité de la scolarisation de l’enfant (par exemple le nombre d’heures d’accompagnement effectif par un·e AESH déterminé pour lui permettre d’évoluer et d’acquérir suffisamment d’autonomie) ne correspond pas à son besoin, à l’orientation qui a été définie à partir des informations fournies par la famille, les médecins, les bilans, peut-on considérer que cet enfant est scolarisé correctement ? 

Pour l’Unapei, il faudrait pouvoir dissocier le temps de scolarisation effectif et le temps de scolarisation qui correspond au besoins de chaque enfant.

La bonne scolarisation repose sur le bon vouloir de personnes et non sur un système.

La campagne #jaipasecole

#jaipasecole est une campagne de sensibilisation lancée par l’Unapei et de nombreuses associations qui invite les familles dont les enfants porteurs de troubles ou de handicap ne sont pas scolarisés ou de manière inadaptée et insatisfaisante à témoigner sur le site marentree.org.  Elle en était cette année à sa deuxième édition.

584 témoignages ont été récoltés à ce jour. Bien sûr, toutes les familles ne témoignent pas, donc ce n’est pas là une liste exhaustive, mais ces témoignages montrent les principales difficultés que peuvent rencontrer les familles : tout un panel de difficultés (déscolarisations, enfants sur liste d’attente pour une Ulis ou une IME, difficultés par rapport à la non-prise en charge effective par une AESH – ou pas en individuel, etc.) qu’il faudrait prendre en compte à travers la mise en place d’autres mesures. Des mesures qui ne consistent pas seulement à mettre en place plus de moyens, mais à appliquer correctement ce qui a été notifié.

>> En savoir plus sur la campagne #jaipasecole

scolarisation enfants porteurs de handicap #jaipasecole

Sonia concluait :

Pour aller vers une école inclusive idéale, il faut que tous les acteurs puissent travailler ensemble, échanger, coordonner, évaluer… Chacun dans son registre de compétences devra pouvoir avancer avec les différents interlocuteurs.

Quand cela fonctionne, c’est que les différents interlocuteurs arrivent à travailler ensemble, Médico-social et Éducation nationale, il y a des équipes qui arrivent à échanger leurs expertises et se construire autour des besoins de l’enfant…. sans oublier les collectivités ! Car il faut aussi en effet que la classe et l’environnement soient adaptés en tenant compte des spécificités des uns et des autres. Et l’environnement ce ne sont pas que les enseignants et les AESH, ce sont aussi les autres enfants, les autres enseignants, les parents d’élèves…

Ce lien indispensable entre le secteur médico-social et les enseignants, ce bénéfice d’une bonne coordination des différents intervenants qui accompagnent l’enfant étaient illustrés lors de notre table ronde par un projet de mallette pédagogique autisme développé dans le Puy-de-Dôme par plusieurs instances.

Scolarisation des enfants avec TSA : un exemple d’accompagnement des enseignants

Les dispositifs du plan autisme

Stéphanie Chanier est professeure ressource autisme. Un poste au service de l’école inclusive qui fait partie de la mesure numéro 5 de la Stratégie autisme 2018-2022 puisque dans chaque département a été créé un poste professeur ressource autisme.

En septembre 2019, 50 postes de professeurs ressource ont été créés ; 50 autres en 2020.

Stéphanie Chanier intervient dans les classes et dans les écoles, à la demande des enseignants qui accueillent un enfant autiste. De la petite section à l’université. Son rôle est de venir observer l’enfant ou l’adolescent et d’essayer de trouver des outils, des moyens qui pourraient, dans la classe, l’aider à être mieux scolarisé et à mieux entrer dans les apprentissages. Même si elle peut intervenir dans 10 classes par semaine, Stéphanie a bien conscience des limites de son intervention et de la nécessité d’un suivi sur le terrain.

Médico-social et Éducation nationale réunis

Nathalie Dua est orthophoniste au sein du Centre de Ressources Autisme (CRA) Auvergne. Revenant sur la Stratégie autisme, elle rappelait au cours de notre live, que le 6 avril 2020, la Secrétaire d’État au handicap, Sophie Cluzel, avait redonné les directives de la Stratégie Troubles du neurodéveloppement :

  • la garantie d’une fluidité de parcours
  • et une partie qui les a particulièrement intéressées Stéphanie et elle : la formation et l’accompagnement dans leur classe des enseignants accueillant les élèves autistes.

Les CRA proposent de la formation, du conseil et de l’accueil de personnes autistes. Aussi la pertinence de mettre en commun les compétences de cette instance avec celles de Stéphanie est vite apparue.
C’est une demande presque purement matérielle qui a tout de suite émergé de la part des enseignants. En effet, ceux-ci manquent de matériel spécifique aux troubles sensoriels, cognitifs. Et toutes les adaptations matérielles demandées obligent, soit à être bricoleurs, soit à un financement important, expliquaient Stéphanie et Nathalie.

Toutes deux ont tout de suite souhaité travailler avec leurs collègues du médico-social des équipes dont dispose le département :

  • une équipe mobile enfant autisme
  • le PCPE (Pôle de Compétence et de Prestations Externalisées) dédié dans ce département à l’autisme 
  • un dispositif déficience intellectuelle TSA.

Outils + sensibilisation

Les 5 partenaires se sont réunis pour déterminer comment apporter une aide aux enseignants à travers une mallette.

Cette idée est née d’un constat fait par Stéphanie à l’issue de ses demi-journées d’observation en classe. Lorsqu’elle conseillait les enseignants sur les petits outils à mettre en place (des économies de jetons par exemple) pour l’enfant avec TSA, les enseignants lui répondaient ne pas voir comment pouvoir mettre en place ces dispositifs, alors qu’ils méconnaissaient ces troubles, manquaient de temps et avaient aussi dans leur classe des enfants avec troubles du comportement, dys, des enfants accompagnés pour d’autres troubles. 

Cette mallette évidemment s’entend avec tout un processus de sensibilisation, d’information de toute l’équipe pédagogique. Le but n’est pas uniquement de donner des outils. Le dispositif prévoit en effet 2 heures de sensibilisation comme condition obligatoire d’emprunt.
C’est par ailleurs une base qui sera forcément adaptable et adaptée en lien avec l’une des équipes médico-sociales partenaires, une équipe de terrain proche de l’enfant.

La mallette contiendra : 

  • des livres
  • un Time-Timer
  • du matériel pour des adaptations cognitives (pour savoir comment mettre en place des pictogrammes pour mieux faire passer les consignes par exemple)
  • un peu de matériel de communication (pour faciliter les séquences, les transitions)
  • un casque anti-bruit
  • du matériel sensoriel (comme un coussin d’assise dynamique, une balle anti-stress NeeDoh)
  • et une clé USB avec des références pour aller plus loin.

Quelques-uns des produits de la mallette pédagogique « Accompagnement de la scolarité des élèves autistes »

 Les outils ça ne suffit pas il faut de la formation, de la sensibilisation. Mais les avoir dans la classe est aussi une première étape pour réfléchir à l’accompagnement des enseignants.

Stéphanie et Nathalie précisent que le travail effectué autour de cette mallette pourra être transmis à d’autres équipes, mais à d’autres équipes qui pourront accompagner les enseignants.

Des nouvelles de la formation des enseignants

Sonia Ahehehinnou de l’Unapei rappelait que les choses avaient dernièrement un peu changé en ce qui concerne la formation des enseignants. En effet, dans le cursus de formation continue sera désormais prévu pour tous les enseignants un temps de formation concernant le handicap (un module de 25 heures). Donc à un moment donné tous les enseignants seront formés au handicap. Mais Sonia Ahehehinnou souhaitait rappeler aussi ce qui est important n’est pas seulement de former aux types de handicaps, mais de former aux répercussions que le handicap a sur le comportement des enfants, sur ses apprentissages.

Scolarisation et polyhandicap

Une définition du polyhandicap trop restreinte ?

Avant de présenter le projet qu’elle dirige “Au centre des possibles”, Laura Cobigo a souhaité revenir sur la définition présentée et validée du polyhandicap.

La difficulté du polyhandicap, c’est que c’est un champ du handicap très très très vaste. Il y a une grande hétérogénéité des profils. Les enfants présentent des difficultés multiples et complexes et qui vont influer sur leur développement et avoir des conséquences sur les plans moteur, cognitif, affectif, sociaux, de communication… Tous ces handicaps vont se retrouver intriqués les uns aux autres et induire une dépendance sensiblement importante et avec, pour certains enfants, des troubles médicaux variés et plus ou moins envahissants. Certains enfants vont être dans l’incapacité totale de se mobiliser, d’effectuer un mouvement ou d’entrer en communication, d’autres qui vont pouvoir accéder au langage verbal et acquérir la marche. 

Il est donc compliqué d’apporter une définition et certaines familles ne se retrouvent pas dans la définition actuelle, même avec un diagnostic, une étiquette “polyhandicap” posée sur leur enfant. De fait, ces familles n’arrivent pas à trouver les solutions adéquates pour répondre correctement aux besoins de leur enfant.

Un plus fort besoin encore de connaissances et d’accompagnement

C’est justement par rapport à ce constat-là sur la définition du polyhandicap qu’on se rend compte que, vu qu’il y a des besoins spécifiques très très différents, on va avoir besoin d’une réponse spécifique, d’une technicité, d’une spécialisation et d’une très forte connaissance des processus d’intervention sur ces enfants. Puisque ces profils sont très variés, on va avoir besoin d’accompagner les professionnels qui vont être au contact de ces enfants de manière à ce qu’ils puissent répondre à chacun de ces besoins.

Ce qu’il ne faut pas oublier – et qui a été annihilé pendant toutes ces années – c’est que malgré le fait qu’ils présentent des handicaps complexes et assez lourds, tous ces enfants ont des potentiels d’apprentissage à exploiter.

Il va falloir dépasser ce statut d’objet de soin sur lequel on se focalise totalement.

De l’importance accrue d’apprendre pour les enfants avec handicap

Il a été prouvé que plus le handicap est important plus on va avoir une nécessité d’avoir accès à des apprentissages, ce qui est donc complètement incohérent avec la situation qui est celle de nos enfants !

Apprendre cela sert à comprendre son environnement et à pouvoir s’adapter.

Privés d’apprentissages, des modalités qui vont nous permettre de mieux analyser l’ensemble des stimulations qui nous parviennent, on va subir ces stimulations. Les apprentissages, l’expérimentation, la manière d’être guidé dans l’analyse de toutes ces informations-là sont donc très importantes pour les enfants en situation de handicap. Cela va leur permettre de mieux maîtriser l’environnement, de pouvoir agir sur lui, de mieux le maîtriser.

Les priver d’apprentissage, c’est juste mettre les enfants dans une situation de surhandicap.

D’ailleurs, aux yeux de Sonia Ahehehinnou, cette non-scolarisation peut s’apparenter à une forme de maltraitance. L’âge d’apprentissage où les enfants sont d’autant plus réceptifs à ce qu’on leur apporte est celui de la scolarisation. Plus on attend, plus on tarde et plus les enfants vont s’ancrer dans des comportements qui vont les empêcher d’acquérir de l’autonomie parce qu’ils vont être envahis dans leurs comportements, envahis par la façon dont ils appréhendent leur environnement.

Ainsi pour Laura Cobigo, dès lors qu’on a pleinement conscience que ces situations d’apprentissage, d’expérimentation, de compréhension et d’utilisation de ces stimuli pour pouvoir mieux vivre, développer son autonomie et donc son confort de vie sont indispensables, il faut pouvoir être capable d’apporter la réponse nécessaire et donc de réfléchir à cette scolarisation adaptée. Il faut pouvoir mettre les moyens pour proposer des cadrages, des références, des ressources qui soient exploitables, mobilisables pour pouvoir accompagner chacun des acteurs – enseignants, AESH, personnel du médico-social – de manière à ce qu’ils puissent eux-mêmes accompagner du mieux possible ces enfants.

C’est pourquoi l’association Des carrés dans des ronds milite pour qu’il puisse y avoir – comme dans le cadre de l’autisme – des centres ressource et des personnes référentes dans le polyhandicap.

Petit historique sur la scolarisation et le polyhandicap

Ce n’est que très récemment que l’on a vu en France dans des textes officiels les termes polyhandicap et scolarisation ensemble, rappelait Laura Cobigo.

Les enfants polyhandicapés sont scolarisés 2 à 3 ans seulement.
80 % d’entre eux sont déscolarisés

Les premières unités d’enseignement polyhandicap n’ont vu le jour qu’en 2009. Et il n’y a eu de véritable projet de recherche sur cette question de la scolarisation, sur les processus d’apprentissage que vers 2017-2018 avec le projet Polyscol porté par l’INSHEA (Institut national supérieur formation et recherche – handicap et enseignements adaptés). Ce projet a permis, par la recherche scientifique, de mettre en avant cette nécessité d’une scolarisation adaptée et réfléchie pour ces enfants et permis à différents groupes de travail émanant du Gouvernement de s’attacher à étudier et à proposer des cadrages et des textes de référence. Ainsi, très récemment, un Cahier des charges Unité d’enseignement polyhandicap a été publié qui prévoit de créer des Unités d’enseignement internalisées (UEI) au sein des établissements spécialisés), mais aussi externalisées UEE (dans des écoles ordinaires).

Une adaptation de l’environnement qui fait peur

Pour Laura, le problème est que l’on considère aujourd’hui encore que la scolarisation c’est la capacité de l’individu de s’adapter à son environnement. Or, dans le cadre du handicap on est dans une nécessité absolue que ce soit l’environnement qui s’adapte le plus possible pour répondre aux besoins de l’enfant et le mettre en situation de scolarisation. L’inclusion scolaire, rappelait-elle encore, nécessite une adaptation de tout l’environnement aux besoins spécifiques de l’enfant (les outils, l’espace, la réflexion de toute l’équipe médico-sociale et enseignante, les programmes…)

Dans le cadre du polyhandicap, cette adaptation est tellement lourde qu’elle peut faire peur aux enseignants. Accueillir des enfants qui présentent autant de handicaps complexes et multiples (moteurs, cognitifs, sensoriels avec des troubles de l’autisme pour certains) est une perte de repères tellement importante que la tâche de scolarisation et l’inclusion scolaire se trouvent elles-mêmes limitées. 

Au centre des possibles

Accompagner sur un versant pédagogique

Le projet, a expliqué Laura, partait d’une volonté de créer un centre de ressources et d’appui à la scolarisation parce que notre association est sur ce champ d’expertise là explique sa présidente Laura Cobigo. Des équipes du médico-social travaillent déjà à l’accompagnement des projets d’inclusion en se focalisant pour la plupart exclusivement sur la question de l’adaptation matérielle, du positionnement de ces enfants en classe et sur l’éducatif : la manière dont mobiliser l’enfant, gérer ses déplacements, de l’intégrer… Autrement dit des objectifs véritablement ciblés sur la question de la socialisation. Mais une fois passé ce cadre là, c’est plus compliqué, explique Laura et les professionnels du médico-social ont du mal à accompagner sur le plan de l’apport pédagogique.

La volonté de l’association avec ce Centre ressources est à la fois de créer, comme dans les CRA, une équipe mobile d’appui à la scolarisation avec des professionnels qui pourraient bénéficier du soutien d’enseignants référents polyhandicap (pour la mise en place desquels l’association milite également) et de faire du lien avec les enseignants. L’association interviendrait donc en soutien de l’équipe médico-sociale. 

Ce projet est en train d’être présenté à l’ARS. Mais le Centre de ressources d’ores et déjà se crée, notamment autour d’une plateforme numérique d’appui. Elle mettra à disposition des outils qui pourront être exploitables et faire sens pour les enseignants (en parlant le même langage qu’eux : progressions, programmes, programmations, outils d’évaluation…) pour mettre en place des programmes adaptés à ces enfants en situation de polyhandicap, pour leur permettre de trouver de nouveaux repères  et de se lancer dans l’accompagnement pédagogique.

L’association proposera également du prêt de matériel pédagogique, toujours en lien avec les équipes médico-sociales en apportant un regard sur l’aspect pédagogique.

Une unité d’enseignement expérimentale

Et puis, surtout, l’association accueillera une unité d’enseignement pilote qui fera partie du centre ressources, qui en sera mise en application. Cette unité accueillera soit en scolarisation partagée, soit en soutien à cette inclusion scolaire, soit en soutien d’un accompagnement dans un institut médico-éducatif, des enfants sur des temps d’apprentissage ciblés.

Cette unité permettra aussi bien d’accompagner des enfants dans différentes situations avec des emplois du temps adaptés, mais également d’inviter les professionnels lors de formations au centre à venir voir concrètement comment ça peut se mettre en place. La formation didactique associée à du concret c’est encore plus parlant et plus bénéfique pour ces différents acteurs, explique en effet Laura.

Enfin et parce que, quel que soit le type de handicap, on ne peut pas se focaliser sur une seule méthodologie, une seule approche, parce que les enfants ont leur singularité, il faut pouvoir coller à leurs besoins le plus possible. L’équipe du Centre a donc souhaité se former à un maximum de choses pour pouvoir accompagner ces enfants-là de manière globale et pluridisciplinaire avec une multi-modalité d’approches pour pouvoir proposer ce programme adapté et individualisé. 

>> En savoir plus sur le projet Au centre des possibles

On le voit Laura Cobigo avec le Centre des possibles invente de nouvelles formes de dispositifs, n’attend pas après l’existant souvent insuffisant pout offrir, maintenant, la possibilité d’apprendre à ces enfants en situation de polyhandicap. Inventer de nouveaux dispositifs, ne pas s’arrêter à ce qui existe, cela pourrait aussi être le mantra, d’une autre professeure des écoles, d’une autre maman extraordinaire que nous avions invitée à notre table ronde : Laure Sautreau.

De Terre et crayons à Isaé : « faire que ce soit possible »

Après avoir créé une école inclusive pour offrir à sa fille la scolarité la plus épanouissante et adaptée qui soit, Laure a créé il y a quelques mois l’association Isaé, un service innovant d’aide à la socialisation des enfants et adolescents porteurs de déficience intellectuelle. Pourquoi ? Pour permettre à sa fille de vivre ce que tous les adolescents de son âge ont besoin et envie de vivre : une vie sociale ! Elle nous racontait ce soir-là son parcours et celui de sa fille, Manon.

Terre et crayons : une école inclusive

Il y a cinq ans, Laure a commencé à voir arriver la fin de scolarité en Ulis école pour sa fille et a commencé avoir certaines inquiétudes face à son avenir scolaire. Laure avait très envie que Manon continue à être scolarisée en milieu ordinaire,  mais le collège l’effrayait un peu. Elle a donc voulu anticiper et a créé, dans l’Hérault, une école qui pourrait l’accompagner encore quelques années en répondant à ses besoins et en lui permettant d’être  entourée d’enfants de son âge et plus jeunes aussi.

Laure a donc créé Terre et crayons avec tout un groupe de collègues de parents et d’amis. L’idée était vraiment de créer une école inclusive et qui permettrait à chacun de développer ses potentiels en jouant sur différents facteurs :

  • le facteur coopération : on a vraiment fait en sorte que les enfants puissent s’appuyer sur l’entraide, la solidarité pour pouvoir développer leurs compétences
  • le facteur matériel en investissant dans toute une série de matériels adaptés (les fameux coussins, les casques antibruit,  le Time Timer, mais aussi les chambres à air de vélo entre les pieds chaise pour que les enfants qui ont une hyperactivité puissent bouger et suivre en même temps la classe. On travaille au sol. Les locaux ont été aménagés de façon à ce que les enfants puissent être dans le mouvement, qu’ils ne soient pas tenus d’être six heures par jour assis à un bureau. Ils peuvent apprendre allongés par terre pour la lecture, mais ils peuvent aussi apprendre en travaillant debout à une table parce que certains sont plus à l’aise pour travailler debout qu’assis.
  • Par ailleurs, l’école ne fonctionne pas par classe, mais par groupes. Les enfants peuvent aller d’un groupe à un autre avec beaucoup de souplesse en fonction de leurs besoins du moment. L’école s’autorise ces transitions-là. Les enfants n’apprennent donc pas tous en même temps la même chose, mais avancent comme cela, par ateliers (pâtisserie, jeux, pâte à modeler…) qui peuvent répondre à d’autres besoins et qui représentent autant de soupapes pour des enfants qui auraient besoin de travailler la motricité fine ou de la lecture… Cette habitude qu’ont les élèves d’être mélangés, mixés de différentes façons (pas uniquement selon des critères de compétences d’ailleurs, mais aussi de goûts) fait qu‘à aucun moment ils ne sont stigmatisés.

Le principe clé de cette école c’est s’adapter aux besoins de chaque enfant, ne pas mettre de barrières, ne rien s’interdire.

Bien sûr, reconnaît Laure, le petit effectif et le bon taux d’encadrement facilitent vraiment les choses ! Pendant les 16 ans au cours desquels elle a enseigné dans l’Éducation nationale, Laure était en difficulté par rapport à cet effectif d’environ 30 enfants, avait beaucoup de mal à répondre aux besoins de ses élèves. Un effectif réduit de moitié permet notamment aux enseignants quelque chose de fondamental : observer, observer ce dont l’enfant a besoin et s’adapter à lui.

>> En savoir plus sur l’école inclusive Terre et crayons

La déscolarisation de Manon

En parallèle de Terre et crayons, Manon suivait une scolarité en Ulis collège. Bien que l’équipe ait fait de son mieux, Manon s’est trouvée en difficulté, en souffrance souvent, parce qu’en décalage par rapport au reste du groupe. Les objectifs fixés pour elle, notamment en termes de socialisation, n’étaient pas atteints. Il fallait arrêter cette scolarisation en Ulis collège. On arrivait au bout d’un parcours.

Manon a alors reçu de la MDPH une notification d’IME… et la famille essuyé refus sur refus ! Listes d’attente énormes, manque de place… quand bien même Manon serait remontée en haut des listes d’attente, elle n’aurait plus eu l’âge d’intégrer l’IME.

Manon s’est donc retrouvée à la maison. Même en ayant la chance d’être accompagnée à domicile par des éducatrices faisant un travail remarquable, rien ne remplace un groupe de copains. En quelques semaines, Manon a plongé, régressé en termes de communication, d’envie et sombré dans une sorte de dépression.

Face à cette injustice d’être privée à 15 ans de socialisation, Laure a cherché une solution en urgence. Manon avait besoin d’être avec d’autres jeunes. Ses éducatrices manifestaient régulièrement leur manque de travail en équipe, leur besoin de travailler avec d’autres professionnelles.
Comment répondre à ces besoins-là ? En regroupant tous ces jeunes dans un même lieu avec leurs éducateurs·trices pour éduquer tous ensemble, travailler la socialisation, le langage, la communication, l’autonomie, joindre l’utile à l’agréable et, tous ensemble, nourrir un vrai projet éducatif pour les jeunes. Ainsi est né le SAS porté par l’association Isaé créée par Laure.

Ouverture du SAS (Service d’Aide à la Socialisation)

La Mairie du Crès (34) a mis gratuitement à disposition des locaux utilisés par le centre de loisirs (puisque c’est sur le temps scolaire que l’association en avait, elle, besoin). Et le SAS a ainsi pu ouvrir en quelques mois.

Sur un fonctionnement comparable à celui d’un RAM (Réseaux d’Assisant·e·s maternel·le·s), les éducateurs et les adolescents se retrouvent pour partager des activités. Les jeunes  peuvent ainsi sortir d’une relation duelle, avoir d’autres référents que leur éducateur·trice. Il est vraiment bénéfique pour ces jeunes d’être mis en situation de devoir s’adapter, de pouvoir être souple, d’accepter de répondre à quelqu’un de nouveau ; c’est quelque chose d’important pour leur vie future. C’est donc un des gros avantages de cette mutualisation.

L’autre gros avantage de ce service est qu’il ne nécessite pas un nouvel investissement financier des familles. 

L’activité des professionnel·le·s a simplement été déplacée, il n’y a pas d’impact financier sur ces familles qui utilisaient leur PCH (Prestation de compensation du Handicap) pour accompagner leur enfant à domicile.

Ce qui comptait aussi beaucoup pour Laure était, certes, de préparer l’avenir de ces jeunes, de leur permettre de continuer à apprendre, mais aussi de préserver un confort de vie, une joie de vivre immédiate chez ces enfants.

On a de l’ambition pour nos enfants, on a envie de préparer leur avenir, qu’ils soient les plus autonomes possibles, mais j’ai à coeur aussi qu’elle profite de son enfance, de son adolescence, explique Laure.

Ce dispositif permet de répondre à ces deux objectifs-là à la fois.

Isaé Manon

La création de ce SAS montre que face à l’urgence, on peut mettre en place des solutions faciles, rapides et gratuites, qui ne nécessitent pas forcément de moyens supplémentaires et que la co-formation est très riche aussi. Beaucoup d’infrastructures municipales existent qui pourraient accueillir un tel service. On doit pouvoir arriver à essaimer assez facilement ce dispositif-là, en allant taper aux portes des collectivités. C’est une question de bonne volonté.

>> En savoir plus sur le dispositif Isaé

La difficulté de l’inclusion à l’adolescence

L’histoire de Manon qui n’a plus trouvé son compte en Ulis collège montre comme l’expliquait Laure que l’adolescence est un moment difficile parce que les écarts se creusent et qu’on a parfois beaucoup de mal en milieu ordinaire à répondre à tous les besoins.

Laure était très attachée à l’inclusion à tout prix, exclusivement, ne voulait pas envisager autre chose que le milieu ordinaire, mais, elle s’est rendu compte que sa fille avait besoin, aussi, de se retrouver avec des enfants qui lui ressemblaient au niveau de son mode de communication, de ses jeux. Manon, dit sa maman, a grandement bénéficié du fait d’être avec des jeunes qui fonctionnent comme elle, utilisent moins le langage, jouent davantage à des jeux sensoriels, tactiles.

Aux yeux de Laure et pour ce qui concerne sa fille, l’équilibre est à rechercher entre des temps d’inclusion (par exemple en club de sport également) et d’autres temps en milieux plus adaptés, avec des enfants qui lui ressemblent au niveau de son fonctionnement.

La bonne scolarisation c’est celle qui est adaptée à l’enfant

Dans tous les cas, ce que l’on peut conclure à travers tous ces récits, tous ces dispositifs, c’est que la « bonne scolarisation » c’est celle qui est adaptée à l’enfant, celle qui répond aux besoins de l’enfant. Il n’y a certainement pas, de fait, un modèle unique de scolarisation pour les enfants en situation de handicap qui n’auront pas, de plus, les mêmes besoins à 6 ou à 16 ans.

Revoir la table ronde en vidéo

Un immense merci à Sonia Ahehehinnou, Stéphanie Chanier, Nathalie Dua, Laura Cobigo et Laure Sautreau, ces mères et professionnelles exceptionnelles dont les actions et la détermination à offrir à tous les enfants une scolarisation adaptée et épanouissante sauront sans doute faire naître de nouveaux projets et inspirer, depuis le terrain, des solutions aux institutions. Nous vous donnerons, bien sûr, sur ce blog, des nouvelles de leurs associations et des avancées de leurs projets.

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