Voilà plusieurs années qu’Allison Ricaud (orthophoniste) et Lucie Dupeux (kinésithérapeute) travaillent ensemble, auprès d’enfants présentant des troubles alimentaires. Avec ses formations autour des troubles de l’oralité, et la formation de Lucie au bilan sensori-moteur, elles ont rapidement compris que leurs pratiques, pourtant différentes, se ressemblaient en certains points, et qu’il existait une continuité entre le travail corporel réalisé en kiné et les sollicitations orales proposées en orthophonie. Nous parlerons dans cet article du partenariat orthophoniste-kinésithérapeute, il va de soi que ce partenariat n’est pas exclusif, que d’autres compétences peuvent s’assembler. Allison et Lucie veillent à travailler main dans la main avec tous les acteurs de la petite enfance : psychomotriciens, ergothérapeutes, diététiciens, pédiatres, éducateurs, sages-femmes… Elles font également le lien avec les structures médico-sociales, les crèches, les foyers de l’enfance… Découvrez-en plus dans cet article ! 

Troubles de l’oralité, de quoi parle-ton ?

Les troubles alimentaires pédiatriques peuvent être diagnostiqués dès le plus jeune âge, chez les nourrissons et chez les enfants plus grands. D’origine fonctionnelle, psychogène, organique ou sensorielle, ces derniers sont pris en soin de plus en plus tôt, dès que l’alimentation de l’enfant est mise à mal : difficultés d’allaitement, perte de poids, hypersélectivité, intérêt restreint, refus…

Chez les tous petits, l’oralité se met en place au sein d’un corps en éveil. Premier lieu d’exploration, la bouche permet à l’enfant de se nourrir, mais aussi de communiquer, de  s’auto-apaiser… Déjà fonctionnelle à la naissance, cette dernière offre au bébé diverses sensations, qui, lorsque tout va bien, lui procurent du plaisir.

C’est au travers de ce plaisir oral, alimentaire et non alimentaire que ce dernier va chercher les sensations, porter les mains en bouche, attraper un objet pour le mettre en bouche, puis se déplacer pour que l’environnement entier de l’enfant passe par sa bouche. Le développement moteur de l’enfant lui permet de ressentir de nouvelles sensations (corporelle et orale), et celles-ci vont éveiller sa curiosité et l’amener à vivre d’autant plus son corps, ses mouvements et ses déplacements.

Enfant fronçant les sourcils à la vue d'une cuillère

>> À lire aussi : Les troubles de l’oralité : Décryptage

Quels sont les liens entre l’oralité et motricité ?

En grandissant le bébé qui présente une belle oralité va se retourner, ramper, puis se déplacer, à 4 pattes. Il va ainsi pouvoir toucher les miettes tombées sur le sol, le tapis du salon, se déplacer  dans le sable, marcher pieds nus dans l’herbe, avoir de l’eau sur la tête… Toutes ces sensations seront vécues et acceptées dans le plaisir.  Le bébé cherchera à comprendre ces textures et goûtera à son environnement. Ces explorations corporelles et orales désensibiliseront sa bouche. C’est au travers de cet étayage de sensations sensori-motrices qu’il acceptera de toucher des aliments mous et  mouillés, de tolérer des miettes sur sa langue et de manger diverses textures à pleine bouche.

bébé sur le dos qui joue avec ses pieds

Lorsque la motricité ou la sensibilité de l’enfant reste fragile, ce dernier évitera les sensations et les déplacements. Sa bouche moins explorée aura des difficultés à accepter de nouvelles textures. Le passage aux morceaux pourra alors s’avérer difficile, tout comme vivre les sensations engendrées par le mouvement. La découverte du monde se fera de façon plus réservée, ce qui limitera l’enfant dans ses mouvements et déplacements. Lors des séances conjointes, les kinés accompagneront alors l’enfant dans la découverte de son corps. Ils l’amèneront à accéder au plaisir corporel, au sein de flux sensoriels variés. Ces explorations vécues de façon globales lui permettront alors d’envisager de les vivre en bouche.  L’orthophoniste l’aidera à faire le lien avec la bouche en proposant des textures (alimentaires et non alimentaires) adaptées à l’enfant, et en accompagnant les parents dans le choix des repas.

Chez les plus grands, le lien entre le corps et l’oralité est parfois moins visible, c’est dans les manipulations et dans la motricité fine que nous observons des similitudes. Quand toucher est difficile, ce sont tous les prérequis au graphisme qui peinent à se mettre en place.

Gêné par les sensations, l’enfant aura peu utilisé ses mains, moins manipulé, or ces activités représentent des bases essentielles à de bonnes coordinations œil-mains et à une motricité fine et fonctionnelle. De la même manière, une bouche gênée par les sensations aura moins bougé, moins exploré, cette bouche hypersensible pourra alors avoir du mal à mettre en place une parole fine, à accepter toutes les textures alimentaires, ou encore à mâcher des morceaux sur tout un repas.

Les difficultés orales et manuelles sont alors intimement liées, et par ce lien étroit, l’orthophoniste et le kinésithérapeute auront un rôle à jouer dans chacun des domaines afin de travailler sur le trouble de façon globale.

Comment en êtes vous venues à collaborer ?

Après avoir assisté aux séances de l’une et de l’autre et accompagné les mêmes enfants, nous avons décidé de proposer des bilans pluridisciplinaires. Ces dernières ont ensuite fait naître des séances conjointes pour les bébés que nous recevions au cabinet.

Différents enfants nous étaient orientés, mais nous observions des similitudes dans les profils : « Bébé avec reflux de 3 mois, un schéma d’ hyperextension, qui casse sa courbe pondérale »,   » Bébé de 7 semaines présentant une plagiocéphalie et des difficultés alimentaires »,  » Bébé de 8 mois, présentant un décalage moteur, qui ne se retourne pas et ne mange pas de morceaux »…

Au fil des années, et à force de travailler ensemble, nos regards se sont affinés. Nous avons pu échanger nos connaissances, pour  finalement mieux comprendre le développement de l’enfant dans sa globalité, et non chacune avec sa propre discipline.

orthophoniste et petit garçon en séance

>> À lire : Troubles de l’oralité alimentaire : nos ressources

Quels sont les bénéfices d’un accompagnement conjoint ?

Lorsque l’oralité est mise à mal, tout le corps du bébé, et son développement sensori-moteur seront dérangés à leur tour. C’est au regard de ce lien perpétuel entre la bouche et le corps que l’intervention conjointe ortho-kiné prend tout son sens. Un bébé avec un trouble alimentaire pédiatrique s’alimentera peu, et aura probablement moins d’intérêt à faire vivre sa bouche. Il ne portera peu/pas ses mains en bouche, et aura des difficultés à se regrouper en avant, or ce regroupement est la clef de voûte de la régulation tonico-posturale mais aussi tonico-émotionnelle pour que le bébé organise par la suite ses étapes de développement.

Dans une autre mesure, un bébé qui présente un schéma d’hyperextension (lié à un reflux, à une asymétrie tonique, à des douleurs…) ne va pas pouvoir porter ses mains à la bouche, cette dernière, délaissée ne sera pas investie, ni tonifiée par l’intermédiaire du main-bouche. Les fonctions d’alimentation et de langage peuvent alors être impactées.

Une intervention conjointe et précoce amènera l’enfant à accepter les sensations corporelles et orales, le kiné l’invitera à se regrouper autour de sa bouche, en enroulant son bassin, et en limitant l’hyperextension. L’orthophoniste accompagnera peu à peu le bébé à prendre du plaisir avec sa sphère orale, en faisant évoluer les textures proposées et en les adaptant à ses capacités sensorielles et motrices.

En parallèle à ces explorations, un accompagnement parental aidera la famille dans le choix des repas, de l’installation, du portage et des sollicitations quotidiennes. Peu à peu, l’enfant pourra faire vivre des sensations à son corps et à sa bouche de façon autonome et avec plaisir.

Les séances conjointes permettent de travailler sur les aspects corporels d’une part, mais aussi sur la sphère orale, tout en alliant les aspects sensoriels et moteurs. La coarticulation de nos soins amène l’enfant à s’organiser autour de son axe corporel, afin que sa bouche puisse vivre dans la plaisir des sensations. Ces consultations conjointes nous donnent aussi la possibilité d’être plus disponibles pour l’enfant et ses parents, et d’offrir une meilleure lecture de leurs enfants aux parents, avec des conseils concrets et complets à mettre en place au quotidien.

Pour conclure

Dès le plus jeune âge, et parfois même chez les plus grands, des consultations conjointes permettront aux professionnels et aux familles d’avoir un regard global sur l’enfant. En effet, cela peut notamment aider à faire du lien entre différents troubles qui viennent parfois d’une seule et même origine : une hypersensibilité. Considérer une bouche isolément du corps n’a en effet aucun sens. Les troubles alimentaires représentent la partie visible et la plus impactante au quotidien mais bien souvent les troubles sensoriels intéressent tout ou une partie du corps.

Les troubles de l’oralité ne sont pas qu’une histoire de bouche. C’est une histoire corporelle et sensorielle. D’où l’intérêt de travailler en interdisciplinarité  !

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Allison a commencé à s’intéresser aux difficultés alimentaires lors de sa rencontre avec une patiente qui ne « mangeait pas et vomissait beaucoup » lorsqu’elle travaillait en crèche à Paris.
Ses questionnements l’ont amenée à rencontrer Véronique Leblanc, avec qui elle a travaillé par la suite en Consultation Oralité à l’hôpital Robert Debré (Paris).
Après un DU Oralité et un DU Soins de développements en néonatalogie , Allison a poursuivi sa pratique au sein d’un cabinet pluridisciplinaire à Montpellier. Ses échanges avec les kinésithérapeutes ont ouvert sa pratique à une approche globale et corporelle.

Pour suivre Allison sur les réseaux sociaux : Facebook : Miam Formation Instagram : Miam’Formation 

 

Chargée de projet digital

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