Connaissez-vous la modulation sensorielle ? Elle désigne le processus qui permet au cerveau d’obtenir une cohérence entre les messages provenant du corps et ceux de l’environnement. Le dysfonctionnement de ce processus chez l’enfant crée une difficulté d’assimilation des stimuli et une fragilité adaptative qui va venir interférer dans la régulation de ses émotions, de ses habilités motrices et de sa maîtrise de ses comportements. Dans cet article, retrouvez un extrait du livre : Concevoir des programmes sensoriels pour personnes autistes des Éditions Tom Pousse par Olivier Gorgy, psychomotricien D.E et Docteur en sciences du Mouvement Humain, et Aurélien D’Ignazio, psychomotricien D.E.
Les enfants avec autisme sont fréquemment sujets aux particularités sensorielles. Pour rappel, le Trouble du Spectre de l’Autisme (TSA) se caractérise par l’altération persistante de la communication sociale ainsi que le caractère restreint et répétitif des comportements, intérêts et activités. Il s’inscrit dans les troubles du neurodéveloppement (DSM 5²).
Interview d’Aurélien D’Ignazio
Qu’est-ce que la sensorialité ?
La sensorialité est un terme particulièrement large qui se réfère à l’activation des modalités sensorielles et qui constitue l’interface entre le corps et l’environnement. Les neurones sensoriels s’activent en fonction d’évènements pouvant être de nature physique ou chimique. Quelle que soit sa nature, chaque événement sensoriel est :
- Capté par un organe sensoriel
- Transformé en influx nerveux
- Acheminé par un nerf vers un territoire déterminé du cerveau
- Traité par le cerveau permettant le passage d’une sensation brute à une perception plus fine.
Qu’est-ce qu’un programme sensoriel ?
Il s’agit d’un ensemble de mesures (protections sensorielles, stimulations ciblées avec principes d’applications, aménagement de l’environnement…) découlant d’une évaluation initiale et permettant de structurer méthodiquement le quotidien de la personne avec autisme au regard de ses spécificités sensorielles.
Nous structurons nos propositions de programme sensoriel au travers de 4 rubriques (auxquelles nous ajouterons l’aspect psychoéducatif) dont l’objectif général est de dégager les moyens susceptibles d’améliorer l’interaction entre la personne et son environnement :
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Pourquoi proposer ce type d’intervention ?
Le traitement atypique de l’information sensorielle d’une personne avec autisme est susceptible d’entraver son quotidien à des degrés variables. Qu’il s’agisse de moments de toilette journalière, d’habillage, de repas, d’interaction avec les autres, de situation d’apprentissage ou de rééducation, chacune de ces situations mérite une attention particulière au niveau sensoriel (précautions, mesures de protection et de structuration de l’environnement, soutien à l’habituation de certain stimuli, satisfaction d’un besoin sensoriel en particulier, etc.).
Nous proposons ainsi de parler de « programme » pour souligner la nécessité de considération globale et pluridisciplinaire des aspects sensoriels dans le quotidien de la personne TSA présentant des vulnérabilités. Ainsi, parents, éducateurs, enseignants, psychologues, psychomotriciens, ergothérapeutes et tout autre accompagnant peuvent chacun se saisir de nos exemples de propositions (partant d’une évaluation initiale) et les adapter à leur contexte d’intervention.
Nous y incluons une multitude d’exemples, conseils et principes susceptibles d’ajuster ces derniers aux besoins et profils spécifiques de la personne.
Dans quels cas est-il pertinent de le mettre en place ?
Notre première intention sera si nécessaire de « protéger » la personne au regard de ses vulnérabilités sensorielles.
- Dans le cas d’hypersensibilité, les mesures de prévention/protection visent la diminution des contextes potentiellement sur stimulants. Elles permettent de soulager la personne présentant un seuil bas de tolérance à certains stimuli et contribuent à la stabilité émotionnelle.
Nous distinguons les mesures de protection agissant au niveau de l’environnement (comme des paravents ou des modulateurs de lumière) de celles agissant au niveau de la personne (comme des lunettes de soleil ou des protections acoustiques par exemple). À noter que l’effet protecteur s’observera sur l’instant, mais sans incidence à plus long terme sur le seuil de la tolérance aux stimuli (il ne peut s’observer d’effet notable sur la plasticité neurosensorielle sans exposition).
- Dans le cas d’hyposensibilité et/ou de recherche de sensations, la personne peut ne pas suffisamment ressentir les stimuli extérieurs et/ou s’autostimuler de façon parfois si intense que son intégrité physique puisse en être menacée. Les mesures de protection visent alors sa mise en sécurité corporelle. Nous retrouvons là encore des moyens de prévention/protection au niveau de l’environnement et d’autres au niveau de la personne (comme le port de casque dans certains cas extrêmes).
Des mesures de renforcement sensoriel
La notion de « renforcement sensoriel » que nous proposons (Gorgy, D’Ignazio, 2022) renvoie à un aspect déficitaire que nous chercherons à compenser. Elle implique d’apporter une stimulation sensorielle mesurée (idéalement en durée, fréquence et intensité) en fonction d’un principe d’application. C’est à ce titre que nous parlons parfois de « protocoles ». Nous ne cherchons pas à « stimuler pour stimuler » mais à établir des propositions visant à moduler les seuils de réactivité neurosensorielle (par effet d’entraînement et de plasticité).
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Dans les cas d’hypersensibilité
Les mesures visent l’amélioration du processus d’habituation, c’est-à-dire la diminution de l’excitation neurophysiologique aux stimuli entrants (comme un protocole de brossage tactile pour une hypersensibilité au niveau cutanée par exemple).
L’effet escompté est l’augmentation du niveau de tolérance (particulièrement bas chez la personne hypersensible) et l’amélioration de la réponse émotionnelle et comportementale aux expositions du quotidien.
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Dans les cas d’hyposensibilité
Face à un profil de recherche de sensations, les mesures de renforcement visent l’augmentation du niveau de stimulation (comme un protocole de « rebondissement » sur gros ballon pour un enfant avec une hyposensibilité vestibulaire par exemple).
Face à un profil d’hyporéactivité, les mesures de renforcement visent l’amélioration du processus de sensibilisation, c’est-à-dire l’amélioration du niveau d’éveil cortical et de conscience du corps. Il peut s’agir de programme de renforcement tonique ou encore de mise en situation d’exploration sensorielle avec un haut niveau de contraste pour améliorer la discrimination.
Le travail des comodalités sensorielles
Nous introduisons ce principe pour décrire les mises en situations spécifiques d’interaction entre plusieurs modalités sensorielles et sensori-motrices ciblées (proprioceptives, vestibulaires, tactiles…). Ce principe de renforcer leur action associative nous semble cohérent dans la mesure où les sensorialités ne fonctionnent quasiment jamais de façon isolées dans une perspective fonctionnelle. La thérapie initiale de l’Intégration Sensorielle (Ayres, 1972 ; Ayres, 1979 ; Bundy & Lane, 2020) promeut ce type de dispositif.
De plus, la connaissance du fonctionnement des personnes avec autisme nous indique une tendance à parfois traiter l’information de façon isolée, en « mono-traitement » (voir Bogdashina, 2013), pénalisant alors la cohérence perceptive globale. Cet aspect nous encourage à proposer ce genre de dispositif pour tendre vers un élargissement du répertoire perceptif et moteur (toujours dans un cadre bienveillant, ludique et prévisible pour la personne bien entendu).
Les mesures d’apaisement
Les mesures d’apaisement visent un moment agréable pour la personne, la diminution d’un éventuel stress ou d’un niveau d’activité particulièrement important (hyperkinésie, etc.).
Elles dépendent des appétences sensorielles de la personne (détectées lors de l’évaluation sensorielle initiale). Il peut s’agir par exemple du port d’un accessoire lesté, de la diffusion d’une senteur, de pressions profondes, de manipulation d’objet, de stimulations vestibulaires contrôlées…
Les mesures de structuration de l’environnement
Nous cherchons ici à généraliser les précautions sensorielles aux différents espaces de vie de la personne : maison, classe, établissement spécialisé ou encore lieu de travail.
Il s’agit de préconisations (souvent évoquées dans le modèle de l’intégration sensorielle et de ses dérivés) en lien avec le profil sensoriel de l’enfant, comme proposer un ballon-chaise en classe pour un enfant ayant besoin de la sensation du mouvement ; manger derrière un paravent ; structurer l’espace visuel au bureau ; diminuer les contraintes sensorielles trop difficilement assimilables sur le lieu de travail d’un adulte, favoriser les activités motrices quotidiennes, etc.
Comprendre la psychoéducation
Nous ne cherchons pas à tout prix une « normalisation » des comportements, chaque personne avec autisme ayant un profil sensoriel et perceptif singulier issu de la neurodiversité.
Qu’il s’agisse de guider la personne vers une meilleure connaissance de son propre fonctionnement ou de sensibiliser son entourage (amical, familial, scolaire, professionnel), l’aspect psychoéducatif apparaît alors indispensable pour compléter nos mesures.
Une particularité comportementale aussi atypique qu’elle puisse être est toujours mieux tolérée dès lors qu’elle est mieux comprise…
Récapitulatif des types de mesures (Gorgy-D’Ignazio, 2022. Concrètement que faire)
Des conseils ou des prérequis pour l’intervention ?
Nous considérons le traitement sensoriel à la croisée du champ thérapeutique, dans la mesure où il s’agit de « prendre soin » de la personne, et du champ rééducatif puisqu’il s’agit également d’optimiser l’acquisition de compétences fonctionnelles. Comme il en est coutume dans la prise en charge des personnes avec autisme, le volontarisme et la créativité des aidants et encadrants demeurent indispensables.
Pour conclure
Même si cette méthodologie est généralisable à tout âge et niveau de compréhension, nous rappelons le caractère empirique de notre réflexion, s’éloignant d’une « solution » uniformément applicable à tous. Nous cherchons au contraire à conserver un maximum d’adaptabilité (et d’humilité) au regard d’un trouble aussi complexe que l’autisme. Suite à l’évaluation structurée, nous pensons que la combinaison des mesures de protection, renforcement, apaisement et structuration de l’environnement (agrémentée de psychoéducation) offre de bonnes chances d’améliorer le quotidien de la personne avec autisme souffrant de troubles sensoriels.
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Découvrez le livre d’Aurélien d’Ignazio et Olivier Gorgy !
Concevoir des programmes sensoriels pour personnes autistes propose une méthodologie pour réaliser l’évaluation sensorielle de l’enfant ayant un trouble du spectre autistique (TSA) et apporte des pistes d’intervention adaptées.
Aurélien D’IGNAZIO est psychomotricien D.E. Il a également un Master en psychomotricité. Enseignant dans plusieurs facultés et instituts de formation de psychomotricité, il est formé en intégration sensorielle. Il exerce auprès d’enfants et d’adultes TSA depuis 15 ans. Intervenant en CRA (Centre Ressources Autisme) ainsi que dans des groupes de travail de la HAS, il est aussi co-auteur de 100 idées pour développer la psychomotricité des enfants.
Super interview !